Élisabeth, Reine d'Angleterre et de l'Opéra de Marseille
Concordance des temps, cet opéra mettant en scène Élisabeth Ire a notamment été remis à l'honneur par la RAI à Milan en 1953, année du couronnement d'Elizabeth II, et l'œuvre entre au répertoire phocéen peu après la mort de celle-ci.
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Karine Deshayes, qui incarne Elisabetta, excelle tant par sa technique vocale que par son expressivité. Son timbre rond et moelleux de mezzo-soprano confère noblesse et dignité à ce personnage royal. Sa voix projetée au vibrato élégant dans le grave, vocalise avec naturel et fluidité, sans effort, dans un ambitus large, avec une justesse irréprochable. Les aigus nuancés permettent des pianissimi veloutés d’une grande finesse. Les silences sont encore habités par la musique. La concentration du public marseillais est alors extrême.
Le Comte de Leicester, vainqueur du combat contre les écossais, est interprété par Julien Dran, ténor dont le texte est nettement articulé, avec des graves expressifs et un médium ample. Mais quelques aigus poussés et durcis viennent parfois rompre la ligne vocale fluide, pouvant le mettre en danger.
Norfolk, le traître jaloux, est chanté par Ruzil Gatin. Ce ténor à l’émission haut placée, au texte nettement compréhensible, possède des aigus cuivrés et brillants. Les vocalises sont agiles et précises rythmiquement. Les nuances forte et même fortissimo rendent le personnage menaçant.
Giuliana Gianfaldoni incarne Matilda, l’épouse (secrète) de Leicester. Sa voix de soprano aux graves posés et aux aigus faciles, vocalise avec élégance, en respectant justesse et précision. Son frère Enrico est interprété par la mezzo-soprano Floriane Hasler. L’expressivité musicale est rendue par une ligne vocale bien articulée et des nuances précises.
Guglielmo, serviteur dévoué de la Reine Elisabetta est Samy Camps, ténor au son riche dans toute la gamme, à la voix nuancée et bien placée rythmiquement. Le texte est nettement compréhensible.
Les parties chantées sont virtuoses, mais Rossini donne aussi une place de choix à l’orchestre et aux chœurs. La soixantaine d'instrumentistes assume cette place prépondérante, générant une masse sonore homogène, nuancée, rigoureuse sur le plan rythmique, avec des phrasés amples, grâce à la direction précise et soignée de Roberto Rizzi Brignoli. L’ouverture, particulièrement déployée, tel un mouvement de symphonie, introduit avec clarté les thèmes et la pâte Rossinienne, la flûte évocatrice du sentiment amoureux, la complainte mélancolique des cors achevant dans l'extrême grave, évoquant “l’emprise glaciale de la mort”.
Les Chœurs de l'Opéra de Marseille (préparés par Emmanuel Trenque), en ligne derrière les instrumentistes, commentent l’action, évoquant le chœur des tragédies antiques. Les nuances déploient une grande amplitude, avec d’immenses crescendi. L’ensemble est très expressif, dramatique puis léger, offrant une rythmique de qualité, en particulier dans les passages scandés et exigeants. Le finale mène au pardon d’Elisabetta, dans un déluge de vocalises royales et un tutti éblouissant.
Le public concentré et chaleureux ovationne les artistes, frappe des mains en cadence, acclame avec justesse les favoris de cette soirée, dans une longue euphorie collective.