Des Pêcheurs de perles sous le signe des années 1970 au Teatro Colón
Programmé pour la seule et unique fois au Teatro Colón en 1913, soit tout juste 50 ans après la création de l’œuvre, Les Pêcheurs de perles sont enfin de retour à Buenos Aires dans une production signée du metteur en scène Michal Znaniecki avec deux distributions internationales et le chef Ramón Tebar en fosse.
Entre Mad Max et San Ku Kaï
Les principes de mise en scène organisant la représentation de ces Pêcheurs de perles multiplient références et procédés au risque de la surcharge. Les détritus post-apocalyptiques, le trône de Zurga formé de jantes de voitures, ou encore certains costumes, coiffures ou accessoires renvoient explicitement au film Mad Max (1979), tandis que le rocher central fissuré et éclairé de l’intérieur d’un laser rouge et d’autres costumes font plutôt rejaillir de l’oubli le kitch de la série TV japonaise San Ku Kaï (1978). Le 2e acte, visuellement un peu plus sobre, fait songer à des planches de la BD Rahan (1969), comme le squelette de quelque animal aquatique (ou peut-être l’épave d’un bateau en bois) gisant au sol sur toute la longueur de la scène. Les codes visuels mis en place par Michal Znaniecki s’éloignent considérablement de l’exotisme poétique et éthéré du livret d’origine. L’acier manufacturé y côtoie le bois naturel, le mécanique trouvant dans l’organique une prolongation qui brouille les repères spatio-temporels. Avec la scénographie de Luigi Scoglio, cette ambiance verse dans des couleurs criardes comme le vert bouteille très années 1970 qui jonche des sols pollués (le premier choc pétrolier éclate en 1973 et les premières préoccupations sur la protection de l’environnement datent également de cette époque) ou le jaune fluo des lumières de José Luis Fiorruccio. Ces coloris disco sont agrémentés de projections vidéos en toile de fond (mouvements aquatiques incessants, signes cabalistiques, une lune romantique en gros plan, des décors de cavernes dignes, là encore, de Rahan). L’intimité des quatre personnages en scène est ainsi rompue par l’omniprésence des membres du chœur qui officient aussi en tant que figurants de théâtre, tandis que des chorégraphies répétitives et parfois banales (à l’image de cette scène de rubans tendus) occupent l’espace scénique jusque dans les airs, à la façon d’acrobaties circassiennes. La scène d’exposition est une exception notable à cette profusion de clins d'œil : l’illusion d’optique qui résulte de ses colonnes aquatiques où évoluent de séduisants mouvements d’ondines et de congénères de L’Homme de l’Atlantide (série de 1977) manifeste une certaine poésie, quoiqu’une position latérale dans la salle ruine ses effets.
Voix des confins
Le ténor russe Dmitry Korchak (Nadir), familier de ce rôle, possède une voix chaude, satinée, à la fois haute et ferme. Les projections sont puissantes et souples. En début de spectacle, ses aigus sont cependant parfois poussifs ou hésitants mais retrouvent par la suite une certaine aisance. Son français est clair, audible parce que bien articulé, en particulier dans la prononciation de la chaîne vocalique qui soutient ses vocalises. Il est le seul chanteur de la soirée à maîtriser correctement notre langue (faisant regretter qu’aucun chanteur francophone n’ait été retenu pour cette production).
L’arménienne Hasmik Torosyan prête à Leïla une voix de soprano présentant une certaine agilité mais qui n’évite pas quelques crispations ponctuelles. La voix, frêle et grêle, est cependant homogène sur toute la tessiture et sait faire preuve d’élégance et de raffinement : les ornementations témoignent d’une technique maîtrisée et éprouvée. Le vibrato est serré, parfois tendu ou piqué.
Le baryton argentin Gustavo Feulien (Zurga) n’est guère audible. Son centre vocal paraît creux, manquant de vitalité, alors que le timbre retrouve des couleurs plus rondes et profondes dans le registre des graves d’où peuvent jaillir des projections amples et posées. Les aigus manquent singulièrement de volume.
Son compatriote, le baryton-basse Fernando Radó (qui s’est illustré sur la même scène dans Norma et La Bohème), incarne un Nourabad crédible : les inflexions vocales sont fortes et soutenues, le timbre d’une chaleur réconfortante à l’oreille.
La performance théâtrale est à mettre à l’actif des quatre chanteurs qui s’investissent dans la précision de leurs gestes, de leurs positionnements et déplacements, de leurs expressions faciales enfin.
Le Chœur maison, dirigé par Miguel Martinez, manifeste plasticité et délicatesse dans ses interventions. La couleur est celle d’un clair azur apaisant et docile. Le soutien vocal trouve le volume adéquat, en scène ou depuis la coulisse. L’Orchestre permanent du Théâtre, sous la baguette du chef espagnol Ramón Tebar, exprime de la brillance et un sens du drame qui rehausse l’ensemble de la production avec beaucoup de nuances.
Le succès est au rendez-vous auprès d’un public peu regardant sur le respect des us et coutumes en matière d’applaudissements (les projections vocales font trop l’objet d’encouragements de la voix et des mains, rompant ainsi davantage l’illusion théâtrale).