Veillée royale à Strasbourg avec Lea Desandre et Thomas Dunford
Le récital évoque d’emblée une veillée : la mezzo-soprano se tient debout, aux côtés du luthiste assis, le fond de la scène est doucement éclairé par la projection d’un dégradé orangé suggérant la lumière (et la chaleur) d’un feu. Sobrement vêtus, - une chemise bleue simple pour Thomas Dunford, un tailleur noir et une chemise blanche pour Lea Desandre - les deux artistes emplissent immédiatement l’espace de leur « chant », qu’il soit vocal ou instrumental. Par leur simplicité, ils suscitent l’atmosphère intime qui fut celle des veillées musicales dans les appartements du roi Louis XIV : décor que le public imagine sans peine, bercé par le programme qui entrelace les airs de Michel Lambert, (Maître de Musique de la Chambre du Roi), de Marc-Antoine Charpentier ainsi que d’Honoré d’Ambruys, avec les pièces instrumentales (qui pouvaient être jouées au luth, mais aussi au théorbe et à la guitare) de Marin Marais et de Robert de Visée. Évoquant la déception amoureuse, la mélancolie ou encore la légèreté pastorale, ces pièces, empreintes de forts contrastes, éveillent une palette d’affects chez l’auditeur.
Si une légère fragilité se dévoile dans les premières syllabes, la voix de Lea Desandre s’affine très rapidement, menée par une diction nette et des aigus saillants. Avec une aisance complète, la mezzo-soprano trace un phrasé contrasté, tout en clair-obscur, alternant des graves rauques et charnus, puis un timbre plus soyeux et retenu. Même les pianissimi laissent entrevoir de délicieuses aspérités dans les soupirs, l’attaque vive des consonnes et les trilles délicatement tressés. Si sa posture reste très peu théâtrale dans les airs mélancoliques, elle se fait plus expressive, mimant l’agacement dans l’air « Ma bergère est tendre et fidèle » où son ton devient presque populaire sur les mots « houlette » et « chien ».
Extrêmement concentré, le luthiste Thomas Dunford brode un jeu perlé et tout à fait envoûtant dans les basses de chaconnes. Avec une grande liberté, il dévoile une technique remarquée et un jeu aussi rigoureux qu’inattendu, en sifflotant notamment le thème chanté par Lea Desandre, « Auprès du feu l'on fait l’amour » de Marc-Antoine Charpentier. Cette intervention suscite les applaudissements spontanés du public et un moment d’explication du programme par le luthiste, très enjoué.
L’harmonie musicale se prolonge jusque dans les regards échangés par le duo, dont l’écoute mutuelle se mesure à chaque instant.
Avec un plaisir évident, la mezzo-soprano et le luthiste filent pas moins de quatre bis, dont le fameux À Chloris de Reynaldo Hahn puis Dis, quand reviendras-tu ? de Barbara, dont le refrain est repris timidement par l’assemblée, attentive aux moindres inflexions de Lea Desandre. Cette dernière fait briller de riches vocalises dans un dernier air, "Ombra mai fu" de Haendel (air de Xerxès) faisant pleuvoir les bravi et applaudissements d’un public qui n’aurait nullement refusé à ce que cette veillée dure encore.