Tineke van Ingelgem et Werner van Mechelen chantent César Franck à La Monnaie
À l’occasion du deux-centième anniversaire de la naissance du compositeur, les solistes se replongent dans le répertoire des musiques de salon de celui qui fut surnommé "le Messie de l'art", notamment pour ses œuvres religieuses et son arrivée en France. Mais c'est ici en son pays que sont joués ses mélodies et duos d’amour, de mélancolie et de mort, accompagnés par Sylvie Decramer. Le programme en piano-voix prend néanmoins une dimension cyclique envoutante, par la maitrise des variations harmoniques très développées (et difficiles). Les influences du romantisme allemand sont présentes avec une subtilité parfois éthérée.
« Avec son sens du mystère, Franck rend justice à cette thématique dans sa musique, à sa manière : il évoque magnifiquement le mysticisme insaisissable, l’aspiration de l’homme à la purification "du cœur et de l’esprit" et, finalement, à la paix. » Werner van Mechelen
La voix de la soprano belge s’aligne sur la finesse du programme mais avec un contour franchement dessiné. Tineke van Ingelgem (que le public bruxellois a pu suivre depuis le prix Klara Révélation de l’année en 2020, puis dans Il Trittico, Jeanne d’Arc au Bucher, La Flûte enchantée et Les Enfants et les Mer) fait rouler et vibrer les mélodies d’une grande légèreté dans les aigus limpides, mais profondes et riches dans les graves. Le velouté du son enrobe la musique de César Franck comme celle de Massenet. Le détachement traduit l'apparente facilité et permet une complicité avec le public, mais aussi son partenaire de scène : les mélodies en duos sonnent riches par les échanges de timbres.
Le baryton-basse Werner van Mechelen (lauréat entre autres du Concours Reine Élisabeth et du Cardiff Singer of the World Competition apprécié in loco dans Parsifal, Lohengrin et Les Enfants et les Mer) ramène le répertoire romantique à un climat classique, posé, calme, souple mais non moins expressif (comme il rapproche la mélodie du Lied, par cette croissance expressive s'appuyant sur des continuités de volume et de matière tout en sachant partir de la légèreté et fine tenue de notes dans L’Invitation au voyage d’Henri Duparc, élève de César Franck). L'artiste subit néanmoins un coup de froid, certains aigus semblant alors soufflés et à la peine, les notes ayant des difficultés à s’étirer (alors que les graves se tiennent et se maintiennent, même entre deux toux). Comme si le chanteur s'était trop inspiré de la mise en scène que La Monnaie présente en ce moment même : Le Chevalier à la Rose dans une version enneigée.
Le clavier tempéré de Sylvie Decramer vient souligner avec une grande habileté le propos vocal des solistes. Complice, la pianiste habituée d’accompagner les Lieder marque une grande tempérance et douceur de touche, que le public peut aussi apprécier dans le Prélude, Fugue et Variation pour orgue de César Franck et enfin Eau dormante de Jules Massenet qui bercent de surprise le public, visiblement ému avant d'applaudir et en applaudissant.