Peter Grimes au Met Opéra, sombre carbone
Loin des mises en scène classiques, loin des fastes et des rideaux en velours, des costumes riches et opulents, la production dévoilée en 2008 par John Doyle (habitué de Broadway) fait ici veut de dénuement absolu pour narrer cette histoire d’un homme avalé par la mer et d’une enquête presque policière au sein d’un village de pêcheur déserté. De ce village, gris, morose et silencieux, ne reste qu'un monde de bois calciné, accueillant tel un conte noir la violence silencieuse des réalités humaines. Dans cet univers minimaliste (même si John Doyle préfère le terme essentialist), l’ambiance générale est glaciale, froide comme la mer, à la mesure du manque d’empathie et d’humanité de chacun. Cette Angleterre sombre et cinématographique rappelle les rues sales de Sweeney Todd (que John Doyle a mis en scène à Broadway), des Peaky Blinders, dans la misère des docks londoniens et des tripots salés.
Face à cette violence, les vidéos de vagues et de flots violents occupent l'esprit et bercent la musique plus qu'elles ne les nourrissent. Le mouvement central est celui de la foule, véritable protagoniste de l’opus, habitant l’espace avec une certaine frénésie, à la frontière de la comédie musicale. Nombreux, puissants et vifs, les Chœurs dirigés par Donald Palumbo sont habillés de lin sombre mais expriment la force populaire (parfois en léger décalage face à l’orchestre, mais se combinant néanmoins dans la puissance d'une grande émotion).
L’Orchestre dirigé par Nicholas Carter dessine une musique expressive, a fortiori devant la scène très profonde mettant la projection acoustique à la peine, mais contrastant d'autant plus avec ces moments où les solistes sont acculés au devant de scène devant un mur de bois.
Allan Clayton marque le rôle-titre par l'extrême raffinement de ses lignes vocales. Le ténor anglais maîtrise la prosodie de Peter Grimes à la perfection, avec un jeu direct et minimaliste. La richesse du chromatisme musical est soutenue durant tout l'opus avec une grande humanité. La voix se déploie dans le tragique et l'empathique.
Adam Plachetka campe le capitaine Balstrode en contraste avec l’ensemble de la distribution. Imposant, inflexible et puissant, le chanteur marque le rôle avec une forme de violence vocale qui évolue par ses accents en allongeant la ligne vers le tragique final.
Laura Wilde offre une Ellen Orford très convaincue, interprétée d'une manière aussi classique que maîtrisée alors même qu'elle fait ici des débuts inopinés au Met, remplaçant Nicole Car. La ligne vocale est très expressive et très précise, fine, aiguë et claire.
Brandie Sutton et Maureen McKay mettent toutes deux leur soprano au service des deux nièces espiègles à la voix légèrement pincée. Les deux rôles étant intriqués, le jeu de leurs harmonies piquantes s'exprime ici en un duo dynamique et rafraîchissant.
Le baryton Justin Austin réussit à se démarquer en Ned Keene au sein de la production avec un caractère amical et sympathique au début de l’opus, qui évolue vers une position plus rude et inhumaine. Ce parcours offre au chanteur de placer sa voix sur l'intensité d'une force vengeresse et d'offrir une amplitude plus directe, marquée d'une texture plus épaisse.
Plus discret, Patrick Carfizzi incarne un Swallow très vif et précis, avec sa voix profonde et puissante de baryton-basse, mêlée à une prosodie piquée, tout à fait british.
Michaela Martens campe une Mrs. Sedley caractérielle et humoristique, à la limite de la caricature. Les aigus sonnent riches et précis, piqués à la mesure du rôle.
Chad Shelton offre à Bob Boles son ténor très fin, d'une précision et vélocité permises par sa liberté de jeu au minimalisme élégant. Le ténor Tony Stevenson (ancien membre du Lindemann Young Artist Development Program de la maison) campe ici un révérend Horace Adams des plus complexes. Animé par une religion variante et injuste, la voix du chanteur est placée haut, afin de dominer l’ensemble, les aigus côtoyant les sphères supérieures avec précision.
Harold Wilson dessine le rôle d’Hobson avec une richesse sombre et enveloppée. La voix puissante de la basse est profonde et affermie, au service d'une présence imposante.
Denyce Graves de son côté choisit d’accentuer le rôle et la voix de la tante, quitte à plonger dans une forme de comédie musicale particulièrement légère, mais d'une voix placée et d'une présence remarquée (parfois fort).
Au sein de la distribution variée et mature des solistes, le jeune Brandon Chosed perce avec une justesse de voix comme de jeu, tenant sa ligne claire avec une assurance certaine, haut placée, et une prosodie limpide.
Le public en salle au Met offre un accueil chaleureux à cette musique puissante s’entrechoquant sur la frontalité d’un décor très froid. Une ovation particulière est réservée pour Allan Clayton et la direction musicale.