DuOdyssée en récital à la croisée des cultures au Petit Palais
Ce programme regroupe des airs d’opéra et des mélodies évoquant cette thématique de l’Orient, comme le fameux cycle Shéhérazade de Ravel qui ouvre le concert, mais aussi des chansons traditionnelles libanaises. Bien entendu, le terme « Orient » évoque une zone extraordinairement vaste, regroupant des régions fort différentes les unes des autres, que l’Occident regroupa dans un même vocable, qui stimula l’imaginaire de bien des artistes. Ainsi, les morceaux extraits d’opéras dans ce récital se déroulent-ils en Chine pour Das Lans des Lächelns (Le Pays du Sourire) de Franz Lehar, au Sri Lanka (alors Ceylan) pour Les Pêcheurs de perles de Bizet, en Egypte antique (Alexandrie) pour Thaïs de Massenet.
Pour ce duo, ce répertoire est avant tout un fabuleux prétexte pour tisser des ponts entre les cultures (ou mettre en valeur ceux qui existent déjà), permettant à la soprano franco-libanaise Yara Kasti de faire coexister le répertoire lyrique occidental avec la musique du Liban (Aatini Al Naya Wa Ghanni soit « Donne-moi la flûte, et chante » de Najib Hankash). La rencontre est parfois même simultanée, comme lorsque la chanson Habibi (« Mon chéri ») de Majida el Roumi est accompagnée par l’adagio en sol mineur d'Albinoni, mettant en exergue les affinités possibles entre ces deux univers musicaux.
L’hybridation musicale trouve son illustration la plus palpable durant l’un des deux solos du pianiste, lorsqu’Ivan Foucher interprète une œuvre du pianiste-compositeur turc Fazıl Say (Terre noire, 1997). Pour cette composition aux accents jazzy, l’interprète soulève le panneau supérieur du piano, afin de pouvoir accéder directement aux cordes pour les étouffer d’une main, tout en jouant de l’autre. Le piano ainsi préparé donne un son pincé et vibrant, évoquant les sonorités du oud, instrument à l’aspect proche du luth répandu dans le monde arabe, le Caucase ou la Turquie.
Le voyage est également linguistique puisque Yara Kasti chante en quatre langues différentes : si la mélodie (Ravel, Aubert, Saint-Saëns) et l’opéra français (Bizet, Massenet) prédominent, ils côtoient également l’arabe (el Roumi, Hankash), l’allemand (Lehár) et le russe (la Vostotchnyi Romans “Romance Orientale” de Rimski-Korsakov).
Quelle que soit la langue ou le style de musique qu’elle interprète, Yara Kasti est une interprète pleinement investie. Son soprano est pur, cristallin, glissant avec agilité dans les aigus, et porté par une diction limpide (quoique se brouillant légèrement dans quelques passages plus rapides ou projetés). Elle sait s’adapter à la salle et au répertoire, ne faisant éclater la pleine puissance de son chant lyrique que sur les airs d’opéra, demeurant plus en douceur sur les mélodies françaises et russes ou sur les chansons arabes. Si, avant le début du spectacle, les spectateurs sont avertis que la chanteuse s’est cassé le pied il y a peu, expliquant qu’elle doive peut-être chanter assise par moments, Yara Kasti fait preuve de vaillance, n’en laissant rien paraître tout au long du récital, active et habitée par chaque texte qu’elle interprète, presque autant actrice que chanteuse malgré les contraintes du récital par rapport à un opéra mis en scène. L’accompagnement d’Ivan Foucher est au diapason de la chanteuse, son phrasé délicat convenant pleinement à ce programme à dominante impressionniste (Ravel, Louis Aubert, et, pour son autre solo, Debussy) et faisant la part belle au rêve et à l’imagination.
C’est au rappel que l’émotion semble pour beaucoup à son comble. Après des applaudissements chaleureux de l’auditoire, le duo revient avec Li Beirut (« Pour Beyrouth »), titre de la diva libanaise Fairuz, hommage mélancolique à la capitale libanaise datant de 1986, lorsque le pays était en proie à la guerre civile. Yara Kasti, qui s’est beaucoup engagée pour soutenir la ville lorsqu’elle fut meurtrie par les explosions de 2020, en livre une interprétation à fleur de peau (parachevant ce programme "Saveurs d’Orient" que le DuOdyssée portera Clermont-Ferrand en janvier prochain).