Fougue romantique allemande à l’Auditorium du Musée d’Orsay
Ce cycle, fruit du partenariat entre Orsay et la Fondation Royaumont, offre l’occasion à des talents émergents de développer leur maîtrise de ces formes musicales. Le mois dernier déjà, le public a pu entendre les lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont dans l’Abbaye de Royaumont, où quatre duos voix-piano se sont produits. C'est désormais intra muros, dans l’enceinte de l’autre pôle de l’Académie, que se produit le duo formé du baryton autrichien Liviu Holender et de la pianiste française Juliette Journaux.
En ce rendez-vous du « Triomphe de la Mélodie et du Lied », ce sont les Lieder qui triomphent, puisque le programme est constitué d’œuvres de Schubert, puis de Mahler dans cet ordre suivant la logique chronologique : Schubert (1797-1828), illustre compositeur de cette forme musicale et représentant par excellence du romantisme allemand en musique précède Mahler qui s’en fait un écho plus tardif, d'autant que les œuvres choisies sont essentiellement issues de son cycle du Knaben Wunderhorn (Le Cor enchanté de l'enfant, 1892-1901), tiré d’un recueil de chants populaires germaniques qui fut l’un des textes de référence des romantiques d’outre-Rhin dès sa parution entre 1805 et 1808. En outre, le programme marque un certain crescendo émotionnel, depuis la nostalgie et l’émoi amoureux jusqu’au deuil et à l’effroi.
Leur interprète vocal, Liviu Holender, déploie dans cette œuvre la puissance de son baryton. Si cette puissance avait pu décontenancer une partie de l’auditoire de l’Abbaye de Royaumont, elle semble mieux maitrisée cette fois-ci, et n’interdit pas la nuance. Ainsi, sur Der zürnenden Diana (À Diane en colère) de Schubert, la voix se fait tantôt chaude et caressante, tantôt forte et tonnante, en écho au sentiment décrit dans le poème de Johann Mayrhofer, où la fureur de la déesse suscite aussi bien l’effroi que l’extase de celui qui la contemple.
Le dernier morceau du récital est le Revelge (« Réveil ») de Mahler, récit d’une funeste bataille, ponctuée par la ritournelle évoquant le battement du tambour de guerre. Ce Lied martial trouve un interprète affirmé en Holender, Kavalierbariton, c’est-à-dire « baryton chevalier », tessiture placée entre la souplesse des voix lyriques et la force des voix dramatiques, qui se distingue par sa puissance métallique, son timbre empreint d’autorité, avec un médium large et sombre et des aigus éclatants.
Si l’interprète demeure en place, comme de coutume pour un récital, il n’en paraît pas moins investi, comme dans le finale poignant du Nicht Wiedersehen (Ne plus se revoir) mahlérien, exprimant la déchirure de la perte de l’être aimé. L’interprétation poignante de Juliette Journaux se lie en toute fluidité avec l’émotion vibrante du chanteur. La puissance du baryton trouve son pendant dans le jeu impétueux de la pianiste, suivant aussi bien le chanteur dans son évocation du tambour martial que dans les instants plus langoureux ou plaintifs.
Le public, qui mélange touristes venus profiter d’un moment de musique lors de leur visite du musée et mélomanes parisiens, paraît dans l’ensemble conquis, éclatant en applaudissements chaleureux. Le duo bien réglé du baryton et de la pianiste donne un rappel, revenant à Schubert sur Nacht und Träume, soit « nuit et rêves », dont le pianissimo vient apporter comme un baume de quiétude après la foudre du Revelge final.