Alcina à La Cité des Congrès de Nantes
Avec le rôle-titre, la soprano Karina Gauvin se saisit de la technique et de l’esthétique baroque, par sa voix et sa présence, marquantes et maîtrisées. Renouvelant sans cesse le phrasé (surtout dans les da capo-reprises des arias), elle évolue ainsi sur plusieurs registres émotionnels et vocaux. Sa vulnérabilité dans l’amour et le chagrin de perdre son amant Ruggiero sont de plus en plus palpables pour atteindre son paroxysme dans “Ah! mio cor” où la déploration fait d’elle une tragédienne. Sa voix au timbre opulent englobe des sons poitrinés tout comme des médiums ronds, à l’agilité expressive. La voix est conduite, intense, des gémissements suffocants aux aigus fulminants. Elle redevient maléfique avec des graves sarcastiques, joue d’un tremolo représentant les larmes, ou d’une voix cajoleuse, nuancée dans le piano et à mi-voix, avec des sons filés et des attaques toutes en douceur pour traduire sa fidélité et donner corps à son personnage d’amoureuse sincère. Par moment, le vibrato trop développé altère toutefois la fluidité de la ligne mélodique dans des passages qui demanderaient davantage de dépouillement.
La voix ronde au timbre chaud de la mezzo soprano Maite Beaumont, légèrement acide dans les aigus convient bien au rôle de Ruggiero (à l’origine écrit pour un castrat alto). Elle apporte de la consistance à la complexité du personnage, avec sa voix affirmée, bien projetée, par l’accroche des graves et la grande précision des vocalises jaillissantes comme un rire moqueur. Les attaques précises traduisent ses rapports violents avec Bradamante mais elle sait aussi utiliser la messa di voce, conduite de voix diversifiant les nuances et enrichissant les couleurs, plus voluptueuses. Les ports de voix délicats (soutenus par les violons) pour marquer les hésitations, et la délicatesse pianissimo des adieux qui jamais ne perdent le soutien et le phrasé complètent la composition du personnage qui éclate d’autant mieux dans la délivrance définitive du sortilège amoureux : la voix est alors éclatante comme les cors qui l’accompagnent, les cascades de vocalises confirment le triomphe de Ruggiero redevenu chevalier et ayant retrouvé sa raison.
Le timbre rond et profond de la mezzo-soprano Teresa Iervolino la sert dans son rôle de Bradamante. Jalouse ou éprise de vengeance, sa voix monte en puissance avec des attaques précises et des vocalises qui tiennent sur la longueur. Elle déploie une grande virtuosité et une recherche de diversification de couleurs pour exprimer le désespoir.
Le rôle de Morgana échoit à la soprano Elsa Benoit en remplacement de Rachel Redmond, souffrante. Sa voix délicatement vibrante et frémissante convient pour la fébrilité de la séductrice enjouée qui tombe immédiatement sous le charme de Ricciardo-Bradamante. La soprano développe sans peine des ornements aériens, des aigus rayonnants et un phrasé enveloppant pour ses premières interventions. Elle anime le rôle avec son expressivité apportée par des couleurs vocales de plus en plus intenses, des émissions de moins en moins vibrantes, des phrasés de plus en plus soutenus pour se métamorphoser en amante repentie afin d’obtenir le pardon d’Oronte (accompagnée par Christophe Rousset lui-même au clavecin et Emmanuel Jacques au violoncelle, à juste titre applaudis).
@ElsaBenoitSopra sera notre Morgana mardi 25 octobre à la Cité des Congrès de Nantes @ANOpera @La_Soufflerie #BaroqueEnScène ! Merci à elle de rejoindre notre production !! #ALCINA #Händel #lastminute pic.twitter.com/NTN23n47QQ
— Talens Lyriques (@talenslyriques) 23 octobre 2022
Nick Pritchard interprète avec sensibilité le rôle d’Oronte, l’amoureux éconduit par Morgana. Sa voix de ténor au timbre velouté est expressive et nuancée. Les phrasés sont diversifiés, les mezza-voce et les aigus allégés grâce à une voix mixte maîtrisée. Les suspensions touchantes offrent un précieux moment d’intimité mais, à l’autre bout de la tessiture, il perd l’accroche du grave ce qui entraîne une projection inégale le rendant moins convainquant dans les passages plus fougueux.
Enfin, le personnage de Melisso revient à la basse John Chest. Sa voix riche et sonore permet de suivre les récits avec facilité. Le timbre imposant marque l'autorité et la raison de ce personnage. Il alterne les registres extrêmes sans difficulté, l’ornementation est soignée, la projection des graves est soutenue par une attaque appuyée des consonnes permettant une vocalité aisée, allant crescendo.
Christophe Rousset dirige son ensemble Les Talens Lyriques à la fois avec souplesse et précision. En fin connaisseur, et en totale complicité avec ses interprètes, il dose les couleurs et les volumes, soutenant le souffle des chanteurs par un clair phrasé, tout en diversifiant les caractères pour alterner dynamisme et lyrisme.
Le public émerveillé venu en grand nombre ovationne longuement chanteurs et musiciens.