Médée ténébreuse et spectaculaire en ouverture de la saison Pathé Live du Met
Le chef-d’œuvre de Luigi Cherubini, composé en 1797 (mais ici en version italienne), n’avait encore jamais été donné sur la scène new-yorkaise. Il faut dire que le rôle-titre, qui avait fait la gloire de Maria Callas en son temps, est particulièrement éprouvant et réclame une interprète de très haut calibre pour soutenir la tension dramatique et les exigences vocales de cette magicienne trahie, poussée à la folie et mère infanticide. Sondra Radvanovsky aborde le rôle en tragédienne confirmée, avec un niveau rare d’investissement physique dans son personnage. Son jeu, quasi chorégraphié, très corporel en tout cas oscille entre une douleur échevelée et une terrifiante majesté de déesse tellurique. Elle rampe, titube, sinue à la manière d’un serpent. La voix aussi manifeste cette corporalité de la sorcière, avec des attaques charnues, rugissantes parfois. D’autre fois, à l’inverse, les notes aiguës lui viennent sans peine, avec une clarté aérienne. Mais sa matière vocale, étirée du suraigu à l’extrême grave, a toujours ce caractère viscéral.
La mise en scène de David McVicar concourt à la mettre en avant. Au centre, un espace fermé par deux hauts murs diagonaux se rejoignent sur un perron symbolisant la ville de Corinthe, lieu de réjouissance. Un large miroir oblique répercute l’action. Les costumes conçus par Doey Lüthi n’évoquent aucune époque précise : un habillement de grande pompe, uniformes et robes de bal pour les Corinthiens, au milieu desquels contrastent les loques noirâtres de Médée. Durant les deux premiers actes, cette dernière reste cantonnée au proscénium, espace obscur et maculé de flaques d’eau. Au troisième acte, elle investit la scène centrale, qui se retrouve alors envahie de flammes rétroprojetées. L’image finale la montre dans un médaillon de feu, flanquée des cadavres de ses enfants. La réalisation, à la manière d’un film en direct, met en valeur le faste de cette mise en scène. De quoi donner de grands frissons au spectateur, en salle de cinéma comme à l’opéra.
Pour tenir tête à cette Médée redoutable, Creonte, incarné par Michele Pertusi, déploie sa voix de basse, au médium amplement fourni et à la projection tonitruante. Pour sa part, Matthew Polenzani, qui chante Giasone (Jason), a besoin d’un temps de chauffe pour s’acclimater au registre bas, presque baryton, de sa partie. Dès le deuxième acte, son timbre gagne en brillance, avec un grain velouté, juvénile. Sa performance bien aboutie culmine au troisième acte dans un poignant désarroi face à la mort de ses enfants.
Janai Brugger prête à Glauce les accents mozartiens d’une voix riche et assurée. Agile sur les ornementations, elle perche avec aisance des aigus scintillants d’harmoniques de tête. Dans le rôle de la fidèle Néris, servante et seule alliée de Médée, Ekaterina Gubanova est très applaudie sur son air “Solo un pianto”, entonné par-dessus le basson, d’une voix de mezzo-soprano ample et capiteuse, au timbre homogène jusque dans l’aigu.
Les deux servantes montrent une belle complémentarité, Brittany Renee jouant plutôt l’espièglerie sur un phrasé clair et articulé, et Sarah Larsen la sévérité, d’une voix plus ronde et posée. Enfin, le baryton-basse Christopher Job fait une intervention brève en chef de la garde royale, psalmodiée avec mordant. Leurs voix se mêlent ensuite au chœur, qui livre ce soir une prestation équilibrée, mais assez lisse et sans grande expressivité.
Au micro de Joyce DiDonato (les directs du Met étant présentés par de prestigieux artistes à l’affiche de rendez-vous prochains, en l’occurrence The Hours), le chef Carlo Rizzi ne manque pas de noter l’originalité de la musique de Cherubini, encore empreinte de classicisme mais montrant déjà des accents romantiques dans son expressivité dramatique. Sa direction souligne ces accents, conférant du relief à une œuvre à première vue marmoréenne.
À peine relevée du tableau final, Sondra Radvanovsky est acclamée sous les confettis ruisselant du plafond de la scène. Le reste du plateau a aussi droit à des applaudissements chaleureux.
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