Tannhäuser futuriste à l’Opéra national de Lyon
D’emblée, David Hermann fixe l’histoire de Tannhäuser dans un futur post-apocalyptique où l’androïde Vénus -une impressionnante vidéo montre sa transformation de machine en femme tentatrice- règne sur une sorte de paradis artificiel qui s’oppose au monde des humains, ou plutôt à ce qu’il en reste. La science-fiction gravite ainsi sur la totalité du spectacle, avec des moments plus ou moins aboutis notamment au niveau de la compréhension globale de la démarche ou du rendu même du propos.
Le monde interdit de Vénus est souterrain. Au sein d’un décor passablement dépouillé au premier acte, une trappe circulaire et mouvante cristallise les échanges amoureux ou les fortes oppositions de Vénus et d’un Tannhäuser lassé, tant par ces faux enchantements répétitifs devenu une servitude que par l’inaction. Afin de contrecarrer les désirs de départ de son amant, Vénus aura recours au service de ses suivantes androïdes aux gestes et attitudes lascives. Mais Tannhäuser parvient à fuir et à retrouver ses compagnons d’antan. Ces derniers arrivent sur scène dans une sorte de voiture lunaire, dont des petits êtres habillés de cagoules et aux yeux rouges, tout droit issus de la saga La Guerre des étoiles, viennent dérober la batterie. Ces êtres (les enfants de la Maîtrise de l’Opéra) et la batterie réapparaîtront au deuxième acte au moment de désigner le premier intervenant du Concours de chant. Seul le valeureux Tannhäuser résistera aux effets indésirables de la fée électricité.
Ce deuxième acte se déroule dans une vaste esplanade en plein air au sein d’une base militaire, loin de la représentation habituelle de la salle d’apparat du château de la Wartburg. Pour autant, le traitement de cet acte, malgré quelques apartés comme la dispersion des morceaux de l’androïde C-3PO ou la mise sous les fers du jeune pâtre du premier acte -un androïde qui suivra Tannhäuser dans son pèlerinage romain- est réalisé de façon tout à fait traditionnelle par David Hermann. Le personnage d’Elisabeth y prend heureusement toute sa juste et légitime place. Cette approche convenue irrigue de même le dernier acte dans sa première partie tout au moins avec le retour de Rome des pèlerins. Durant le long récit de Tannhäuser à Wolfram de son voyage lointain, le metteur en scène introduit le personnage du Pape, ici cacochyme et courbé à la manière de Maître Yoda. Celui-ci semble déclamer son anathème à l’égard du pèlerin alors même que c’est ce dernier qui chante dos au public, moment dramatique fort efficace. La fin de l’acte paraît plus surprenante : pas de cortège funèbre pour Elisabeth, car cette dernière n’est pas morte. Elle a gagné le monde mystérieux de Vénus afin de tenter un apaisement général. Elles surgissent toutes deux du sol alors que Tannhäuser disparait de scène.
Cette approche particulière apparaît assez partielle et par moment même déroutante, avec ces quelques clins d’œil appuyés et anecdotiques qui ne rejoignent pas forcément l’essentiel du propos de Wagner (même si sa musique a, certes, beaucoup inspiré Star Wars). Les décors un rien ascétiques de Jo Schramm, les costumes bigarrés et très diversifiés de Bettina Walter, les lumières soignées de Fabrice Kebour participent pour leur part de cette impression d’ensemble.
Stephen Gould remplace pour l’ensemble des représentations Simon O’Neill initialement programmé dans le rôle-titre. A soixante ans cette année, Stephen Gould a chanté Tannhäuser sur des scènes lyriques majeures du monde entier, dont au Festival de Bayreuth (notre compte-rendu). Il retrouvera ce rôle de nouveau sur la Colline Sacrée lors de l’édition 2023 du Festival sous la baguette de Nathalie Stutzmann qui y fera ses débuts. Malgré ses allures de colosse, caractérisant son endurance légendaire, Stephen Gould parvient à dresser un portait sincère et émouvant du personnage. Pour autant, son héroïsme vocal se heurte désormais aux multiples difficultés du rôle. Son chant presque constamment émis en force bouscule une ligne vocale un rien chaotique qui a tendance à se transformer à certains moments en simple déclamation. L’aigu paraît à la peine et se dérobe sur plusieurs passages tendus. Pour autant, l’artiste demeure profondément attachant et se donne sans réserve.
Dans le rôle de Wolfram, le baryton Christoph Pohl livre pour sa part une belle leçon de chant basée sur un legato affirmé et une souplesse presque italienne. Son interprétation très soignée de la fameuse Romance à l'Étoile comble d’aise. Il confère au personnage chaleur et humanité.
La soprano Sud-Africaine Johanni van Oostrum, déjà fort remarquée en 2019 au Théâtre des Champs-Elysées en Agathe du Freischütz (notre compte-rendu), incarne Elisabeth de sa belle présence scénique. Sa voix lyrique rayonnante et la clarté de ses aigus conviennent bien au personnage dont elle représente la force et la spiritualité. Ces multiples qualités magnifient avec toute la blondeur souhaitée son amour irréductible pour Tannhäuser.
La mezzo-soprano Irene Roberts pour sa part incarne une Vénus passionnée, fière et ardente. Hier Julie de Philippe Boesmans à l’Opéra de Lorraine (notre compte-rendu), elle déploie un matériau vocal large au timbre pénétrant et des aigus puissants, lumineux, longtemps tenus. Un vibrato ici un rien excessif gagnerait cependant à être mieux maîtrisé.
Liang Li possède toutes les composantes attendues pour le rôle du Landgrave qu’il aborde d’une voix de basse large et assurée, avec des accents profonds pleinement ancrés dans son chant valeureux. Giulia Scopelliti incarne le jeune pâtre androïde d’une voix de soprano solide qui pourrait apparaître plus souple d’émission, plus fluide. Les deux autres Minnensänger (poètes lyriques) du Concours de chant remplissent parfaitement leur office et s’ancrent dans le meilleur. Pete Thanapat, jeune baryton-basse, membre du Lyon Opéra Studio pour la saison en cours, incarne Biterolf avec un engagement tant scénique que vocal certain. La voix touche par sa chaleur, son émission franche et directe. Le ténor gallois Robert Lewis, autre soliste de l’Opéra Studio, fait valoir une voix colorée et bien assise dans le récit de Walter qui s’oppose à celui charnel de Tannhäuser. Dans leurs brèves interventions, le ténor Kristofer Lundin (Heinrich) et la basse Dumitru Madarasan (Reinmar) complètent adroitement le plateau vocal.
Le Chœur de l’Opéra, préparé par son tout nouveau chef Benedict Kearns, donne toute la mesure de son talent dans cet ouvrage exigeant et lourd pour lui. Il apporte à l’ensemble une dimension épique et humaniste, voire aérienne dans le chœur des sirènes au début de l’opéra, puis dans l’évocation du salut et de la Rédemption finale. La version de Tannhäuser proposée ici combine pour le premier acte celle de Paris (1861), et pour les deux actes suivants celle de Dresde (1845) suivant les modifications nombreuses et successives apportées par Richard Wagner dans l’écriture de l’ouvrage. De fait, il apparaît ici plus développé dans sa durée et permet d’apprécier un deuxième acte fort complet. La direction musicale de Daniele Rustioni semble toutefois un peu trop retenue dans les textures et la matière, privilégiant alors les couleurs et les nuances, lors de l’ouverture mais surtout durant l’ardente Bacchanale. Elle s’affirme ensuite au fil des scènes et des actes, plus vivante, plus impliquée, avec une attention toute particulière portée aux chanteurs et au chœur. La musique du troisième acte trouve sous sa baguette la plus complète inspiration de la soirée. Daniele Rustioni ne cherche pas à trop surcharger la partition, laissant à la musique de Wagner le temps de s’épanouir et d’exhaler sa part de romantisme.
Le public présent paraît globalement convaincu à la fois par la production en elle-même (malgré ses particularités) ainsi que par les prestations musicales et vocales, réservant un accueil particulièrement chaleureux à l’ensemble des chanteurs.