Le Chevalier à la rose ouvre le bal d'Avignon
La mise en scène de Jean-Claude Berutti assisté de Vladimir Steyaert, reste fidèle au livret original tout en tournant autour du temps et des entrelacements des différentes époques. Une mise en abyme est réalisée pour plusieurs scènes par le biais du film muet autrichien Le Chevalier à la rose (1925) de Robert Wiene, dont quelques scènes sont projetées sur le fond du décor ou sur un écran qui cache le plateau.
Ce rapport au temps est confirmé à la fin du dernier acte, lorsqu'un enfant place un grand sablier au milieu de la scène et pose sa tête dessus. Les décors de Rudy Sabounghi et de son assistant Julien Soulier, ainsi que les lumières de Christophe Forey, restent très sobres, laissant beaucoup de place aux chanteurs. Pendant l’intermède orchestral, les machinistes installent le décor sur la scène et créent ainsi l’auberge du troisième acte en retournant tout simplement les murs de la chambre de la Maréchale (mais en prenant une certaine part d'attention qui devrait ici légitimement revenir à l'orchestre). Les costumes de Jeanny Kratochwil font également allusion aux différentes époques entrelacées.
Violette Polchi ayant dû quitter la production quatre jours avant le spectacle, c’est la mezzo-soprano allemande Hanna Larissa Naujoks qui prend le relais et incarne le jeune Octavian. Malgré le peu de temps qu’elle a eu pour préparer son rôle, elle est l’une des stars de la soirée, brillant et séduisant le public grâce à une voix qui porte et qui dépasse facilement l’orchestre. Son timbre riche en harmoniques sert tout autant son interprétation sur scène, convaincante et engagée. Elle s’adapte facilement à la mise en scène et se montre très à l’aise avec ses collègues artistes.
Elle ouvre le spectacle avec la soprano belge Tineke van Ingelgem, qui interprète la Maréchale et séduit également le public grâce à une présence imposante, mais d’une grande élégance. Elle fait montre d’une voix lumineuse et cristalline, avec des aigus puissants et des médiums très confortables. Cependant, ses graves sont parfois difficiles à entendre. Son interprétation sur scène est tout à fait remarquable, avec une grande expressivité dans son jeu, réussissant ainsi à présenter une Maréchale d’une grande finesse, amoureuse de son amant, mais également très distinguée et digne au moment d’accepter la fin de cette aventure.
Sophie est interprétée par la soprano belge Sheva Tehoval d'une voix étincelante, avec précision et un joli phrasé. Elle fait montre d’aigus forte d’une bonne puissance et expressivité, mais ses aigus piano ont du mal à surpasser l’orchestre. Son jeu sur scène est bien engagé : elle se montre très naïve et sait traduire le dégoût et le malaise de son personnage face à la lascivité et la grossièreté de son futur mari.
Ce futur mari, le Baron Ochs, est interprété par la basse allemande Mischa Schelomianski qui parvient à créer une forte animosité dans le public (preuve de son talent) en campant et chantant un personnage dévergondé et grossier. Cependant, l’animosité laisse sa place à l’admiration sur le plan vocal, car la basse fait montre d’une voix chaude, charnue et d’une grande sonorité. Les couleurs sombres et l’amplitude de sa ligne donnent une certaine allure et même une forme de dignité à son personnage, contrastant avec cet air taquin qu’il arbore tout le long du spectacle lorsqu’une jolie fille lui passe devant les yeux. Sa diction laisse toutefois un peu à désirer par moments, rendant son texte un peu difficile à comprendre.
Le baryton Jean-Marc Salzmann, vu récemment in loco lors de son concert avec l’accordéoniste Pierre Cussac, interprète le père de Sophie, Monsieur von Faninal. Dans la lignée de son récent concert, il se montre très dynamique et joueur pendant la plupart du deuxième acte, mais il sait aussi se montrer dramatique et sévère lorsque Sophie lui révèle son aversion envers le Baron, son futur mari. Sa voix perçante est bien placée mais fatigue par moments. Son texte est très clair, avec une diction qui permet de détacher chaque mot.
Le ténor croate Krešimir Špicer interprète l'intrigant Valzacchi, et montre, malgré ses courtes interventions, sa grande qualité vocale : une voix solide et très puissante, qui dépasse facilement ses collègues, avec un timbre chaud et un phrasé très élégant. Hélène Bernardy interprète Annina, complice de Valzacchi, avec une voix puissante et bien timbrée, ornée d’un joli vibrato très marqué. Son interprétation déborde de charisme et rend à son personnage un certain côté cocasse. La soprano moldave Diana Axentii interprète Marianne, la duègne de Sophie, avec une voix au timbre lumineux, des aigus brillants et des graves chaleureux. Elle fait montre d’une ligne à la fois robuste et mélodieuse, très homogène. Le ténor alsacien Olivier Trommenschlager incarne les majordomes chez la Maréchale et chez les von Faninal, ainsi que l’Aubergiste de sa tessiture large, avec des médiums ronds et charpentés et une voix très bien projetée, mais avec un aigu un peu trop couvert lors de l’une de ses dernières interventions. Le ténor italo-argentin Carlos Natale interprète le chanteur italien qui offre un air sentimental à la Maréchale. Il entame sa courte intervention avec assurance et un bon ancrage, mais avec des mouvements légèrement rigides. Ses médiums sont généreux et son phrasé est élégant. Cependant, ses aigus restent très serrés et semblent mettre le chanteur en danger.
Saeid Alkhouri et Jean-François Baron contribuent ainsi au développement de l’histoire et des personnages avec leurs répliques assurées, celui-là en Notaire d'une voix charnue et bien projetée, celui-ci en Commissaire de police avec une voix claire et généreuse.
L’Orchestre National Avignon-Provence, sous la baguette de Jochem Hochstenbach, rend hommage à l’œuvre de Strauss, malgré la difficulté de la partition, avec une interprétation raffinée et riche, légère et lyrique. Le Chœur et la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, préparés respectivement par Aurore Marchand et Florence Goyon-Pogemberg, assument les différentes scènes dans lesquelles ils participent avec des contrastes et des voix brillantes.
Reconnaissant, le public ovationne les artistes pendant de longues minutes, tout particulièrement les trois chanteuses principales, le Baron et le chef d’orchestre.