Le TCE offre une nouvelle vie à Iphigénie en Aulide
C’est un nouvel épisode des Atrides que Gluck offre au répertoire d’opéra avec Iphigénie en Aulide, interprété en version concert au Théâtre des Champs-Elysées. Les Atrides sont les membres de la famille d’Agamemnon. Petit rappel mythologique : après l’enlèvement d’Hélène par Pâris, son mari Ménélas rassemble les rois grecs pour la reconquérir (comme Offenbach le narre dans La Belle Hélène), plaçant Agamemnon à la tête de cette armée rassemblée en Aulide. Mais, offensée, Artémis condamne le roi à immoler sa fille Iphigénie pour laisser ses navires voguer jusqu’à Troie. Attirée là par la promesse d’un mariage avec Achille, cette dernière accepte son sort avant d’être sauvée in extremis par la déesse. Mais sa mère, Clytemnestre, ne pardonnant pas à Agamemnon, l’assassine à son retour de Troie, avant que leur fils Oreste ne venge son père (il s’agit là de l’intrigue d’Elektra de Strauss). Plus tard, Oreste retrouve sa sœur Iphigénie en Tauride (titre d’un autre opus de Gluck).
Julien Chauvin dirige son Concert de la Loge, chantant avec les solistes : comme lorsqu’il dirige depuis son violon, il indique plus des intentions que la mesure par sa gestique. Il en ressort une interprétation qui a du relief, de l’éloquence et des nuances : le désespoir d’Iphigénie est notamment ainsi accompagné avec subtilité et grâce. Les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles ne sont certes pas exactement ensemble, mais ces jeunes artistes façonnent une interprétation fraiche et chaloupée, avec de beaux timbres entremêlés. Leur fureur à la fin de l’ouvrage reste toutefois gentille et mériterait une vigueur plus théâtrale.
Bouillant Achille, Cyrille Dubois use de son timbre solaire avec dynamisme pour conduire une ligne éloquente. Il déploie sa musicalité, travaillant ses phrasés, et accordant ses nuances à l’interprétation de ses partenaires. Théâtral, il ferme les yeux, et n’hésite pas à altérer sa voix pour mieux transmettre les émotions de sa partition. Sa surprise lorsqu’il apprend le sacrifice exigé d’Iphigénie est digne de l’actors studio. Après chaque intervention, le talent d’Achille est chaleureusement applaudi par le public.
En Clytemnestre, Stéphanie d’Oustrac allie maturité de l’incarnation et timbre juvénile. Sa voix sémillante et volcanique s’appuie sur une grande sincérité dans l’incarnation théâtrale. Judith van Wanroij interprète le rôle-titre avec la candeur et l’abnégation de son personnage. De sa voix froide au timbre brillant comme l’argent du poignard destiné à son sacrifice (mais qui pourrait avoir plus d’ampleur), elle file de longs et délicats aigus dans une prestation où sa finesse musicale ressort particulièrement.
Telle une statue de roi grec avec sa longue barbe grisonnante, Tassis Christoyannis interprète Agamemnon. Il s’appuie toutefois pour cela sur une diction bien française, travaillée, mais qui parfois hache sa ligne vocale dans les récitatifs (même s’il affine son legato dans les airs). Sa voix au timbre charbonneux dispose d’un beau volume. Jean-Sébastien Bou chante le rôle de Calchas avec dynamisme. Les aigus sont puissants mais les graves plus étouffés. Son timbre garde en revanche sa brillance sur tout l’ambitus.
David Witczak se charge du triple rôle de Patrocle, Arcas, et d’Un Grec de sa voix de baryton au grain chaud s’approchant parfois d’un ténor sombre qui de surcroit verrait ses graves disparaître. Du chœur se détachent les trois Grecques. Anne-Sophie Petit (Première Grecque) dispose d’une voix fine et flûtée, qui manque globalement de volume. Jehanne Amzal (Deuxième Grecque) offre une voix ferme et bien projetée au timbre légèrement fruité. Marine Lafdal-Franc (Troisième Grecque) laisse entendre d’une voix lyrique, bien émise.
Le public rappelle à plusieurs reprises la troupe (qui salue collectivement), leur témoignant de son enthousiasme pour cette œuvre rarement donnée, et plus encore pour son interprétation.