Dans le salon musical d'Agnès Jaoui au Théâtre de l'Atelier
Une certaine effervescence règne dans la salle. Les fans sont là, ceux qui admirent la femme de cinéma, ceux qui savent déjà qu'elle a plusieurs cordes (vocales) à son arc, et les autres.
On connaît la chanson mais pas forcément chantée par Agnès Jaoui. L'actrice a reçu un César (meilleur second rôle en 1998) pour ce film, mais elle a aussi décroché une Victoire de la musique (catégorie musiques du monde) en 2006 pour son premier album, Canta (et elle a également mis en scène la Tosca de Puccini, dans le cadre d'Opéra en Plein Air).
Ce soir, Agnès Jaoui présente au public parisien un concert à la croisée des styles, classiques, chansons du monde et jazz argentin, un mélange audacieux et éclectique à l’alchimie délicate.
Au milieu de la scène, trône un canapé en velours rouge (comme les quelques verres de vin non loin). Un piano droit ouvert, une batterie complètent le décor de ce salon comme improvisé.
Les musiciens de l’Orchestre Carabanchel se mettent en place, puis les chanteurs s’installent sur le devant de la scène, en groupe, dans un esprit qui rappelle The Platters.
Agnès Jaoui nous accueille, c’est l’idée, dans son salon, nous parlant de ses choix et introduisant le premier morceau au programme : la cantate Actus tragicus de Bach, « Dans cette cantate, on meurt beaucoup... »
Cette soirée toute entière est comme une grande cantate (métaphorique et emplie de vie), parcourant les continents et les styles, mettant en lumière les complicité entre les artistes, ainsi que leurs qualités individuelles, indéniables pour les membres du quatuor vocal Canto Allegre (avec lequel Agnès Jaoui travaille depuis 20 ans, et pour cause, il s'agit d'anciens camarades musiciens).
Agnès Jaoui met toutefois du temps à entrer dans la soirée et dans sa voix. Les fins de phrases semblent un peu lasses, les vocalises un peu poussée. La ligne se recentre toutefois grâce à la musique et à la technique classiques, en duo de voix conjointes mais tout de même inégales avec la mezzo-soprano vibrante et bien placée Julia Selge, pour célébrer l’anniversaire de la reine Mary (Sound the trumpet de Purcell).
C'est en actrice qu'elle déploie la comédie tragico-lyrique de l’opéra Esther (Haendel), tout en cassant les codes avec une bonne dose d’auto-dérision. Sa voix retrouve de sa puissance, paradoxalement par sa fragilité contrôlée sur les accents de Barbara avant de s'élancer dans une forme de jazz sud-américain mettant à l'honneur chaque musicien en soliste improvisateur.
Fernando Fiszbein, chef de l’Orchestre Carabanchel, dynamise la soirée et la récitation rythmée de la chanteuse-actrice, notamment avec un esprit de tango très contemporain, où les lignes mélodiques fusent et se diffusent. "Fernando" emmène aussi au bandonéon un mambo échevelé où les rythmes argentins se mêlent aux harmonies modernes dans un fougueux dépaysement.
Le piano d’Emilie Aridon brille par son jeu ciselé sur l’Agnus de la Petite Messe Solennelle de Rossini. Le quatuor répond à la soliste dans une magnifique couleur sotto voce (comme à mi-voix) à l’image du bandonéon qui sculpte l’harmonie Rossinienne. Le timbre de Julia Selge manque toutefois de corps dans cet extrait si prenant, en cette messe unique en son genre.
Le ténor Nicolas Marie séduit à son tour avec l'univers de la mélodie française, par la souplesse de ses registres et la musicalité de son discours. Le baryton Roméo Fidanza campe des personnages lyriques affirmés en caractère et au timbre large. Loik Le Guillou (ténor) met à l'honneur ses interventions baroques et rossiniennes par la lumière de son timbre souple et léger.
La sonorisation globale du concert, trop poussée, ne permet hélas pas de déployer les qualités de rondeur et d’équilibre musicaux (pas autant qu'une certaine acidité dans les aigus) en ce concert regorgeant pourtant de qualités acoustiques.
Agnès Jaoui fait de toutes ces rencontres entre les arts et les artistes l'occasion d'embraser le théâtre, invitant même du public à danser, comme les chanteurs, sur scène (hélas trop petite). La fin du concert et l'invitation à rentrer chez soi est un peu téléphonée (Viens à la maison de Claude François) mais là encore, l'harmonisation à quatre voix en fait tout l'intérêt.
Le concert ressemble ainsi en effet à certaines soirées dans le salon d’une connaissance, avec beaucoup de sympathies mais des propositions musicales décousues. Pas de quoi empêcher d'en profiter et le public de saluer la soirée debout.