Passions Surprises selon Véronique Gens à l'Opéra de Bordeaux
L'Auditorium de Bordeaux met ainsi à l'honneur la musique française de Lully, de ses successeurs et de ses rivaux, à travers des pages connues et rares. Véronique Gens poursuit ainsi un retour en forme de continuité originale dans le répertoire baroque qui l'a rendue célèbre. Ce répertoire, elle ne l'a certes jamais quitté, mais, sans s'en éloigner, elle s'est rapprochée du répertoire romantique (suivant donc les conseils respectifs et complémentaires des deux frères jumeaux : Benoît Dratwicki, directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles et Alexandre Dratwicki, Directeur artistique du Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française).
Ce retour se fait en pleine lumière et Passions, nom de ce programme qui est un opéra imaginaire : réunissant des airs de différents opéras, en allant jusqu'à former ici une tragédie lyrique en cinq actes (Malheureuse mère, Armide abandonnée, Appel des enfers, Tranquille Sommeil-funeste Mort et Médée furieuse) suivant la progression canonique de passions puisées chez Lully, Desmarest, Destouches, Collasse, Marc-Antoine Charpentier, François Rebel et François Francœur. L'ensemble est bien conçu et varié, chaque acte étant lui-même un petit opéra avec une petite variété d'extraits solistes, instrumentaux, choraux.
Ce programme s'appuie sur le disque "Passion" paru l'année dernière (Compte-Rendu sur Classique Mais Pas Has Been) poursuivant sa tournée et son exploration des passions baroques (Passion a depuis pris un s pluriel), de la richesse vocale et instrumentale.
La progression dramatique des actes suggère et place ainsi l'auditeur dans les méandres des Passions, les musiciens saisissant pleinement ce fil dramatique et son contenu. L'Ensemble Les Surprises, sous la direction de Louis-Noël Bestion de Camboulas offre avec son jeu instrumental un bijou d'horlogerie musicale, tout en cherchant et mettant à l'honneur l'âme au centre de cette musique-drame. Avec simplicité et naturel, la direction fluide, claire et précise laisse de fait les passions de cette musique s'exprimer naturellement, les musiciens manifestant aussi bien leur plaisir de jouer que le fruit de leur travail en répétition. L'ensemble vocal de six chanteurs (deux sopranos, haute-contre, taille et deux basses-tailles) fonctionne comme une seule riche voix, rendant les couleurs qui correspondent au texte et à l'atmosphère musicale. Leur participation impeccable donne ainsi une troisième dimension sonore à ce concert.
La soprano Véronique Gens entre sur scène dans toute l'élégance et l'allure de son port et de sa robe, devant l'ensemble instrumental et le petit chœur de six chanteurs, tous habillés en noir. La présence princière s'accorde pleinement à cette voix riche en couleurs, impeccable en intonation, phrasé et prosodie. Le baroque n'a ici rien d'artificiel ni de maniéré, l'exécution de la phrase étant toujours au service de la compréhension. Un peu sombre dans la partie centrale, la voix résonne bien dans les aigus et les graves. Les appuis sur la voix de poitrine sont utilisés avec beaucoup de finesse. La ligne vibre librement, avec la régularité d'une émission vocale timbrée utilisant les couleurs du texte (sans jamais un son tiré ou blanchi).
Seul bémol d'un programme nommé "Passions", une certaine réserve pudique ne laisse pas l'artiste plonger dans les passions (la dimension théâtrale reste contenue). Véronique Gens amène le public sur le seuil mais ne se jette pas (et lui avec) dans les couleurs vocales primaires passionnées.
Le public nombreux apprécie grandement la qualité de la soirée et en redemande, rappelant plusieurs fois les artistes pour des bis.