Roméo et Juliette de Berlioz à Versailles : concert flamboyant et percutant
C'est dans ce lieu chargé d'histoire et de culture (y compris et hautement Berlioziennes), tout en dorure et en brillant, que la célèbre phalange parisienne se produit, sous la direction de Daniel Harding et avec la participation de trois solistes déployant leur superbe. L'œuvre de Berlioz, dense et sombre, résume en sept numéros la célèbre histoire de Roméo et Juliette de Shakespeare, avec un prologue en récitatif choral, des solos de chant et des choeurs. Ces derniers offrent au Chœur de Radio France de nombreux défis que les chanteurs relèvent avec brio.
Leur première intervention se fait en effectif réduit, avec une entrée surprise à l'avant-scène. Placés devant l'orchestre, les chanteurs jouent le rôle du chœur grec, même si certains sont moins investis dans cette interprétation dramatique (les femmes ont une réelle présence, regardent intensément le public, tandis que quelques hommes, le nez dans la partition, diminuent légèrement la forte impression que ce prologue procure au public). Les chanteurs ne perdent jamais la justesse ni la précision du texte dans des interventions quasi a cappella, mais vont presque jusqu'à éclipser l'orchestre dans les interventions communes, du fait de la disposition. Dans le troisième numéro, le chœur d'hommes est cette fois en coulisses, répartis des deux côtés de la scène pour un effet de stéréophonie si impressionnant qu'il fait pardonner la légère baisse de justesse. Un autre défi pour le chœur est d'entrer en scène et de s'installer tout en chantant dans un autre numéro, prouesse amoindrie par l'inévitable bruit provoqué par leurs pas. Les chanteurs savent aussi bien créer de superbes couleurs dans des pianissimi bouleversants, qu'impressionner par leur virtuosité dans le finale, mais aussi transmettre le texte, même depuis les coulisses, trouvant toujours un parfait équilibre entre les voix.
L'Orchestre Philharmonique de Radio France n'est pas en reste, malgré l'obligation de s'adapter à l'acoustique, différente par rapport à leur auditorium (où ils donnaient le même concert la veille). En effet, les cordes sont particulièrement présentes à l'oreille (mais dans le cadre d'un magnifique travail des nuances, notamment chez les violoncelles et les harpes) tandis que les cuivres perdent en brillance, les bois étant un peu effacés. Le résultat général bénéficie grandement de la baguette de Daniel Harding, précise, très sobre, presque discret dans sa direction.
La mezzo-soprano Virginie Verrez montre dans le prologue une voix naturelle et sans artifice qui correspond parfaitement au rôle, complémentaire à celui du chœur dans le commentaire de la tragédie. Elle déploie avec aisance un timbre chaud au phrasé souple, avec beaucoup d'aplomb et de maîtrise. Son collègue le ténor Andrew Staples prend sa place avec un peu moins de brillant dans la voix mais une personnalité plus dynamique, pour raconter la folle équipée de Mab. Le timbre est clair, percutant, mais la diction un tout petit peu en reste du fait de la virtuosité de l'air. Enfin, Edwin Crossley-Mercer offre dans le rôle du père Laurence une grande voix de basse, très tubée et très équilibrée dans la tessiture. Les graves sont brillants et faciles, les aigus se font sans peine et avec beaucoup de souplesse. Sa technique assurée lui permet également des aigus en voix de tête tout à fait maîtrisés, avec une grande élégance. L'acoustique exigeante le mène cependant à pousser très légèrement sur sa voix qui paraît plus fatiguée à la fin.
Le public est conquis par cette œuvre d'une grande force dramatique, et ne quitte la salle qu'après plusieurs rappels, avant d'aller retrouver la Nuit de la Création proposée par la ville de Versailles.