Werther baryton en ouverture de saison à l’Opéra de Tours
C’est à l’Opéra de Tours que fut présentée pour la première fois en France en 2001 la version pour baryton du Werther conçue par Massenet (Jean-Sébastien Bou tenait le rôle-titre, Nora Gubisch incarnant Charlotte). Après Thomas Hampson à New York notamment, Ludovic Tézier s'empara un peu plus tard du rôle dans cette version baryton à l’Opéra national de Paris déjà, puis à l’Opéra de Vienne. Cette version spécifique fut créée à Saint-Pétersbourg en 1902 avec le grand baryton Mattia Battistini que le compositeur admirait beaucoup. Ce dernier en fait n’a pas modifié en profondeur la célèbre version ténor, l’adaptant à la tessiture d’un baryton possédant des aigus faciles. Bien entendu, à l’écoute, l’auditeur habitué à la version ténor et à ses envolées ardemment lyriques peut paraître un rien déstabilisé. Mais dans la version baryton, Werther se pare, avec ses descentes dans le grave et une couleur plus sombre, d’une gravité plus spécifiquement dramatique. Régis Mengus possède indéniablement ces atouts et déploie une voix large, dotée de couleurs affirmées, avec des aigus faciles et un respect intrinsèque du texte. Un vibrato un peu large s’entend au premier acte avant que la voix, une fois plus installée, se stabilise plus totalement aux actes suivants. Son Werther occupe la scène d’une forte présence, avec une silhouette jeune et fort attachante.
La Charlotte d’Héloïse Mas possède un charme pénétrant. Elle incarne à ravir cette jeune femme calme et timide qui voit son destin tout tracé basculer vers l’imprévu. Sa voix de mezzo-soprano au timbre relativement clair possède une belle projection en salle. La cantatrice sait varier les couleurs, alléger quand il le faut et se donner sans réserve au terrible troisième acte avec l'interprétation vibrante de l’Air des larmes. Le couple qu’elle forme au plan scénique avec le Werther de Régis Mengus s’avère particulièrement travaillé.
La soprano Marie Lys renvoie aux oubliettes les Sophie ingénues et niaises (caractères dont le personnage se voit trop souvent affublé). Actrice affirmée, elle donne au personnage de Sophie, sur les indications de Vincent Boussard, une interprétation pétillante et pleine de vie. La voix est ravissante, légère mais pas trop, avec de scintillantes vocalises. Ses deux airs apportent le souffle de fraîcheur indispensable au sein du drame.
Mikhail Timoshenko incarne Albert d'une manière solide et grave. Sa voix de baryton, sans perdre son caractère slave, chante avec naturel et précision sa partie. Franck Leguérinel a tendance à trop bousculer la ligne de chant dans le rôle du Bailli et à morceler ainsi son récit. Le metteur en scène a demandé aux deux interprètes de Schmidt et Johann -respectivement le ténor lyrique Antonel Boldan et le baryton aux moyens bien assis Mikhael Piccone- de charger quelque peu leurs personnages en les tirant presque vers le burlesque. Ils s’en donnent ainsi à cœur joie. Mickaël Chapeau et Mélanie Gardyn complètent le plateau avec juste discrétion dans les brefs rôles de Bruhlmann et Kätchen.
La mise en scène de Vincent Boussard s’articule autour de lieux très resserrés conçus par Vincent Lemaire : un simple couloir fermé d’une haute cloison au premier acte, un espace totalement clos et oppressant au deuxième acte, une chambre bourgeoise et dénuée de toute intimité à l’acte suivant. Au terme de chaque scène, un rideau descend et se relève presque aussitôt, conférant à l’ensemble une sorte de morcellement de situations plutôt que de continuité. Au quatrième acte, le plateau se trouve lui-même séparé en deux. Côté cour, Werther encore indemne couvre un carnet de notes et d’impressions, celles de sa mort prochaine et comme idéalisée. Le coup de feu mortel ne retentira qu’après les dernières notes émises par l’orchestre. Côté jardin, Charlotte se trouve malmenée tant au plan physique que moral par son mari Albert. De fait, le duo d’amour Werther/Charlotte semble comme suggéré et ne laisse aucune place aux débordements émotionnels. Heureusement, la direction musicale de Laurent Campellone se réfère plus à l’authenticité de la partition de Massenet et au livret original. Tout en maitrisant l’ensemble, il insuffle à la musique une énergie réelle, un instinct dramatique mesuré, apportant un soin constant aux équilibres et aux détails les plus subtils. L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours répond avec intensité à toutes ses sollicitations et exigences. Le résultat d’ensemble, auquel il convient d’ajouter la prestation de qualité des enfants de la Maîtrise ainsi que du Chœur maison, s’avère à la hauteur des attentes.
Pour autant, avant le lever de rideau, trois musiciens de l’Orchestre sont venus transmettre au public présent leurs vives inquiétudes sur l’avenir de leur phalange, engagée via des CDD et confrontée aux baisses de moyens financiers donc aux menaces de réduction du nombre de représentations et de concerts. Le public, très attaché à son orchestre et lui apportant son soutien, l’a vivement salué tant au niveau de l’annonce préalable qu’en fin de spectacle. Ce dernier et ses interprètes ont fait l’unanimité en cette représentation d’ouverture de saison. L’annonce de la saison 2023 devrait intervenir d’ici le milieu du mois d’octobre.