66ème Biennale Musicale de Venise : par-delà les barreaux, par quelques notes
Cette Biennale est ainsi toujours aussi multimédia, multi-genres (théâtre musical, pop, recherche compositionnelle) se déployant jusqu'à la réalité virtuelle et augmentée, aux œuvres radiophoniques, lectures-performances et autres installations sonores immersives. Mais cette modernité se veut aussi un retour à l'esprit expérimental de l'opéra baroque vénitien (remplissant alors des théâtres publics bondés).
Tous ces enjeux (et d'autres encore) sont réunis dans la création mondiale de Notwehr : une performance de 50 minutes poignantes, subtiles et sombres en hommage à Maria Kalesnikava (l’une des principales opposantes au régime en Biélorussie, enlevée puis condamnée à 11 ans de prison, lauréate du Prix Václav Havel en 2021) et aux autres femmes courageuses qui ont combattu le système pour un monde "plus juste". La rencontre des mondes est musicale autant que visuelle. La compositrice Annelies van Parys fait dialoguer sa musique avec les madrigaux de Banchieri, tout comme la librettiste Gaea Schoeters donne la parole aux femmes déchirées, le chœur racontant les tourments des prisonniers.
Une prison, une cage est installée dans la sublime Scuola Grande de San Rocco : au milieu des tableaux du Tintoret, une cellule de fer froid qu'encadre le public très nombreux installé aux quatre coins de la salle, parmi les splendeurs dorées du baroque vénitien. L'orchestre est positionné près du grand escalier, le chœur dans une obscurité lointaine (une mise en scène de Sjaron Minailo, spécialisé dans les représentations lyriques visuelles in situ, visant à dépasser les limites de l'expérience lyrique traditionnelle). Les lumières éclairent et assombrissent les différentes images mentales du drame, avec des lampes froides, des LED au sol et sur de hautes barres bordant la grande cage/prison, éclairant les deux femmes protagonistes en vestes blanches.
La soprano Johanna Zimmer incarne Maria Kalesnikava, confirmant les accointances de la chanteuse à la fois dans le domaine de la musique contemporaine, du Lied et de l'oratorio. La personnification est puissante, tant théâtralement que vocalement par une diction sûre, et une aisance affirmée pour suivre les nuances et élans du chef d'orchestre Francesco Erle, intense et lyrique.
Els Mondelaers incarne la barmaid plus âgée (accusé d'avoir poignardé son mari) avec laquelle la jeune manifestante est enfermée. La mezzo-soprano contribue à l'ambiance étouffante de ce huis-clos et de cette promiscuité grâce à son intensité scénique et vocale, mais contrastant avec un timbre clair (comme un élan vers la liberté, à l'image de ces moments où elles se transforment en actrices fumant, ou de ces moments de brève sortie de la cage mais toujours de forçats, surveillées).
Les conversations musicales des deux solistes creusent progressivement leurs tonalités rauques, emplies d'une colère résonnant avec les instruments mais dans un decrescendo traduisant l'abattement (avec peine combattu d'accents sonores).
L'Ensemble vocal VENETIAETERNA imprime un style madrigaliste et moderne par des voix puissantes et empreintes de vifs accents. Les instrumentistes d'HERMESensemble déploient eux aussi une voix et une vie propre, en contrepoint avec les chants grégoriens et les murmures choraux, accompagnant le tout par moments mais dans un rythme volontairement décalé (traduisant l'effet de l'enfermement sur la psyché compartimentée de ces prisonnières).
Notwehr, expérience de coexistence de mondes distincts, de lieux et de disciplines artistiques, est très chaleureusement applaudie et sans hésitation par toute l'assistance, très attentive durant le spectacle.