Scipion en Espagne à Venise
"Création au Hoftheater de Vienne le 4 novembre 1722, première performance des temps modernes" annonce cette production basée sur le matériau autographe et des copies contemporaines du drame en trois actes et 1h30 signé des vénitiens Antonio Caldara et Apostolo Zeno (musique et livret, respectivement), ici mise en scène par Francesco Bellotto.
Publius Cornelius Scipion (père de Scipion l'Africain et de Scipion l'Asiatique) proconsul romain en Espagne accepte de libérer la jeune et noble Sophonisbe (prise de guerre) afin qu’elle aide à établir la paix entre Rome et Carthage. Ces jeux de pouvoirs et de manipulations sont ici littéralement illustrés, la scénographie étant un théâtre de marionnettes, avec des fils toujours visibles manipulant les interprètes (tels des pantins à taille humaine).
La scénographie d'Alessia Colosso conçoit ainsi ce grand-petit théâtre de tréteaux, qui se transforme à vue par l'ajout de panneaux peints comme une maquette en papier, renforçant l'impression de légèreté des marionnettes.
Les costumes de Carlos Tieppo habillent les personnages de couleurs et de coupes fidèles à l'époque de Scipion, avec soldats et robes de style antique romain (tout en soulignant qu'il s'agit de marionnettes, avec ces cœurs en chiffon donnés ou arrachés, entrelaçant là aussi délicatesse et raffinement).
Les jeunes artistes très impliqués dans cette incarnation de marionnettes, en rendent la physicalité de manière accentuée mais aussi avec des mouvements gracieux. Face à eux, l'acteur Marco Ferraro tient le rôle de directeur de la propagande impériale en maintenant un profil autoritaire.
Scipion est incarné par Yihao Duan. Son interprétation valeureuse s’appuie sur une voix et une prestation convaincues, avec un timbre intense, un phrasé raffiné et un volume étudié.
Sa prisonnière Sophonisbe (fille du capitaine carthaginois Magon), Miao Tang déploie une forte sensibilité musicale, dessinant le côté triste du personnage par un chant à la voix incisif et capricieux (une dualité vocale dictée par le rôle, sa tessiture aiguë et sa ligne très articulée).
Cardénius, amoureux de cette Sophonisbe et prince des Ilergètes trouve en Tianhong Xi une voix adhérant au répertoire baroque, efficace dans toutes ses phrases, agile et au timbre de caractère.
Son rival Luceio prince de Celtibérie, également amoureux de cette Sophonisbe, a l’allure effectivement princière d’Anqi Huang (qui sait mettre en avant diverses facettes de sa musicalité ronde et majestueuse).
Elvira, sœur de Cardénius, a le timbre parfois granuleux de Ying Quan, mais d’une formulation claire, audacieuse mais attentive à la direction. Son agilité vocale est remarquée même dans les pages alertes, l’émission vocale restant inspirée et profondément nourrie.
Rundong Liu (Lucius Marcius, tribun ami de Cardénius et amoureux d’Elvire) est mesuré dans ses phrasés, composant son personnage par le respect de la partition, une large gamme et un phrasé précis.
Enfin, Quintus Trebellius, autre tribun romain est interprété par Ziyan Meng avec un style précis et des accents vocaux montrant le travail de la musique et du style baroque.
Dénominateur commun de la production musicale, la basse continue soutient les jeunes solistes par un jeu précis et délié. Francesco Erle dirige l'Orchestra barocca del Conservatorio Benedetto Marcello di Venezia avec l'assise harmonique des cordes, l'air amoureux des bois et la puissance impétueuse des cuivres. Le résultat sonore apporte ainsi une lecture fraîche et dynamique, tout en accentuant les temps forts de la dramaturgie.
Cette redécouverte du répertoire baroque vénitien, porté par de jeunes artistes dans un spectacle adressé à toutes les générations de spectateurs remporte un grand succès auprès du public.