Traditionnelle Madame Butterfly en direct de l'Opéra Royal de Londres
Le Royal Opera House continue à proposer, tout comme le Metropolitan Opera House de l'autre côté de l'Atlantique, une saison de retransmissions en direct dans plus de mille salles à travers le monde. Une occasion de découvrir ou aborder d'une autre façon des chefs-d'œuvre du répertoire lyrique, mais aussi des créations contemporaines et des ballets, sur grand écran et pour un prix abordable.
C'est avec une valeur sûre que la maison londonienne débute cette saison, dans le choix de l'œuvre, Madame Butterfly, comme dans sa mise en scène créée en 2002 par Moshe Leiser et Patrice Caurier, qui ont aménagé un espace classique et traditionnel au drame de Puccini. Pour cette reprise, les équipes du Royal Opera House ont d'ailleurs fait appel à des spécialistes de la culture japonaise afin d’approfondir le jeu des interprètes et leur éviter d'adopter des attitudes conventionnelles plus japonisantes que réellement japonaises, dans le respect de la tradition ancestrale de l'île qui a une part essentielle dans l'opéra.
D'un point de vue scénique, le décor est d'une grande simplicité, le plateau presque nu, quatre grands panneaux habillant simplement le fond de scène, coulissant latéralement ou de bas en haut, ouvrant sur un paysage d'estampe à l'arrivée de Cio-Cio San ou se refermant entièrement dans les moments plus intimes. Si des ambiances lumineuses ou quelques effets d'ombres chinoises viennent enrichir la proposition, celle-ci souffre toutefois d'un statisme parfois pesant et laisse les interprètes livrés à eux-mêmes dans un espace souvent trop grand pour eux.
Dans le même esprit, la direction d'acteur semble limitée à l'intention propre à chaque chanteur, et l'émotion peinerait à ressortir si elle se limitait aux visages et postures, souvent figés. C’est en fait que le mouvement est dans la fosse, sous la direction de Nicola Luisotti. Sans éclairer la partition d’un jour nouveau, l'ensemble est homogène et l'orchestre comme poussé vers l’avant (ce qui limite aussi les plus amples phrasés et moments suspendus). Le chœur maison propose une prestation accomplie dans l’ensemble, mais le célèbre chœur « à bouche fermée » chanté depuis les coulisses manque de souplesse.
Du côté du plateau vocal, l'ensemble se trouve être assez homogène lui aussi. Jeremy White offre sa stature hiératique à l'oncle bonze venant troubler la fête, apparaissant tel un fantôme alors que tombe la peinture de fond de scène à son arrivée. En Kate Pinkerton, Gabrielè Kupšytè se trouve un peu effacée à l'image de ce court rôle qui, il est vrai, s'excuse un peu d'être là. Au contraire, le Prince Yamadori de Josef Jeongmeen Ahn s'affirme dans des interventions justes et pleines de noblesse.
Habitué des seconds rôles piquants, le ténor Carlo Bosi se démarque par son interprétation de Goro, mesquin et grinçant à souhait. Se tortillant les mains dans un costume mêlant pantalon hakama traditionnel et veste de costume européenne, mariant ainsi sur lui-même ces deux cultures, il intervient avec précision d'une voix nasale et sonore tout au long de l'œuvre. Du côté plus lumineux de l'être humain, la douceur de Suzuki est subtilement transmise par la mezzo Christine Rice, dans le jeu comme dans le chant. Elle déploie des graves rassurants et enveloppants et prend des accents dramatiques appuyés à mesure que le destin de sa maîtresse se dessine sous ses yeux. Dans le rôle du consul Sharpless, le baryton Carlos Álvarez a les airs paternalistes d'un Giorgio Germont. Son autorité naturelle confère au personnage une belle stature et il se montre touchant dans sa simplicité. La voix, large et très vibrée manque cependant d'homogénéité sur toute la tessiture, et ses graves sont souvent peu audibles (même dans cette retransmission cinématographique), surtout au début, couverts par l'orchestre ou dans ses duos avec Pinkerton.
Ce dernier, interprété par le ténor américain Joshua Guerrero offre une prestation assez peu nuancée. Solide, la voix reste cependant assez intérieure, à l'image de l'interprétation théâtrale. Les yeux souvent fixés sur le chef ou au lointain, le chanteur peine à se montrer convaincu scéniquement, en particulier lors du duo d'amour de l'acte I. Du point de vue vocal, le timbre assez sombre est riche sur toute la tessiture et les aigus soutenus et pleins, mais le chant ne module que peu les émotions de son personnage.
Maria Agresta offre son expérience de la scène au service de ce rôle-titre endurant. Si elle compose un personnage de femme mûre habité d'une solide conviction (plus qu'une jeune fille dans la candeur de l'adolescence), son visage s'illumine dès qu'elle sourit et les traits de l'enfance s’y retrouvent. C'est d'ailleurs au contact de l'enfant qu'elle trouve sa plus juste émotion, qu'elle ne semblait pas tout à fait cerner au début de l'œuvre. Sa voix ronde au vibrato très présent se perd un peu dans le médium mais s'affirme dans les graves plus poitrinés du fameux "Un bel di, vedremo", dont l'interprétation pourrait cependant déployer davantage de douceur. La conviction présente dans sa voix fait toutefois bien meilleur écho à la conviction de son personnage face à la mort, et ses derniers accents sont empreints d'une grande sincérité.
Pour sa prochaine retransmission en direct, le 12 octobre, le Royal Opera House mise cette fois-ci sur une création scénique, celle du metteur en scène Robert Carsen pour une nouvelle production d'Aïda.
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