A Bastille, un Hoffmann peut en cacher un autre
Etrange soirée que cette Première des Contes d’Hoffmann à l’Opéra Bastille, qui intervient le jour même où Jonas Kaufmann, grand absent de la production, annonce son prochain retour à la scène (lire notre article). Son remplaçant, Ramon Vargas, loin de démériter, aura malgré tout peiné à faire oublier le ténor allemand : au moment des saluts, il semblait même s’excuser d’être là ! Le public n’aura pas bénéficié de la prononciation française si recherchée de Kaufmann, ni de sa finesse d’interprétation pour laquelle certains spectateurs étaient venus de loin. Malgré tout, sans les attentes surdimensionnées entourant sa prestation, Ramon Vargas aurait très certainement convaincu le public grâce à sa ligne vocale, son timbre clair et éclatant, ses aigus admirablement projetés ou encore sa longueur de souffle. Nul ne lui reprochera non plus son investissement scénique : sa danse, debout sur le comptoir de la taverne, au début de l’opéra, est réjouissante. Les applaudissements qui s’en sont suivis lui ont d’ailleurs momentanément permis de relâcher la tension qui, à l’évidence, a bridé certains passages de son interprétation.
Ramon Vargas dans les Contes d'Hoffmann (© Julien Benhamou)
La pression entourant Stéphanie d’Oustrac, interprète de la Muse et de Nicklausse, était bien moins importante. Son interprétation reste pourtant comme l’une des plus grandes satisfactions de la soirée. Très impliquée dans le jeu (provoquant régulièrement des rires nourris, notamment durant son premier air) et démontrant d’indéniables talents de comédienne, elle est également très convaincante vocalement, emplissant la salle de Bastille de sa voix chaude. Ses médiums joliment vibrés bonifient le chœur concluant le Prologue. Seul bémol, une retenue partagée avec Kate Aldrich lors de la barcarolle, le célèbre duo se perdant alors derrière l’orchestration et le chœur.
Stéphanie d'Oustrac dans les Contes d'Hoffmann (© Julien Benhamou)
Les rôles des quatre antagonistes, Lindorf, Coppélius, Dapertutto et le Docteur Miracle sont confiés à la jeune basse Roberto Tagliavini, qui revenait à Bastille après Le Trouvère l’an dernier où il interprétait Ferrando (lire notre compte rendu). Un rôle de premier plan, dont il se sort bien malgré quelques passages hésitants. Ainsi, son Scintille diamant du troisième acte est particulièrement réussi, sa voix posée dans les graves serrant la gorge du public dès la première note. L’air se conclut sur une tenue de note vibrée, puissante et parfaitement achevée. De même, son air de présentation laisse apparaître un phrasé et un découpage du texte très travaillés (bien qu’il soit obligé d’abréger ses dernières syllabes pour reprendre sa respiration). En revanche, des interventions moins puissantes (à l’acte I) ou moins précises (à l’acte II) montrent le chemin restant à parcourir pour inscrire son nom parmi les plus grandes basses de sa génération.
Roberto Tagliavini dans les Contes d'Hoffmann (© Julien Benhamou)
Le prestige de la distribution s’étend bien sûr aux trois rôles féminins. Nadine Koutcher, remplaçante de Sabine Devieilhe (lire notre article), conquiert le public en Olympia par son jeu (bien servie, il faut le dire, par un livret et une mise en scène drolatiques) ainsi que par ses trilles, vocalises et notes piquées suraiguës, techniquement bien réalisés. Il ne manquera au spectateur averti que l’émotion dont certaines cantatrices parviennent à colorer ce rôle d’automate. Parfaite Antonia à l’excellent français, Ermonela Jaho démontre une fois de plus sa capacité à émouvoir, tant par ses talents de comédienne que par sa voix déchirante, dont le vibrato (parfois légèrement exagéré) parle à l’âme. Elle est aussi à l’aise dans les passages lyriques mettant en valeur sa voix parfaitement projetée que dans les parties plus intimes, dans lesquels sa maîtrise technique lui offre la capacité à émettre des piani délicats. Enfin, Kate Aldrich, moins en vue, chante le rôle de la courtisane Giulietta. Ses médiums flamboyants se mêlent à la voix de Vargas durant leur duo avec un charme suave. Elle partage cependant également avec le ténor mexicain une prononciation approximative qui justifie pleinement l’usage des surtitres.
Ermonela Jaho dans les Contes d'Hoffmann (© Julien Benhamou)
Par bonheur, le prestige de la distribution ne s’éteint pas lorsque viennent les rôles plus secondaires. C’est ainsi que Yann Beuron, habitué aux premiers rôles sur les grandes scènes internationales, interprète les Quatre Valets qui ne lui offrent qu’un seul air. Il était pourtant au centre de notre curiosité et nous avait confié dans une passionnante interview (à lire ici) son intention de différencier les quatre personnages en leur conférant des couleurs vocales et des émotions variées. Le pari est réussi puisqu’il figure parmi les chanteurs les plus applaudis malgré la modestie de ses rôles. Déjà, le premier, Andrès, parvient à faire rire malgré ses interventions monosyllabiques, grâce à un jeu appuyé. Le second, Cochenille, bigle et bègue, est plus drôle encore : cheveux gras, épaisses lunettes, démarche maladroite et sourire niais mais voix bien projetée chaque fois que la partition le permet. C’est avec le personnage de Frantz, le valet sourd, dont l’air fait partie des passages les plus connus de l’opéra, que le ténor cherche à émouvoir. Et en effet, malgré la grande dose de dérision que provoque le personnage, celui-ci se montre touchant. La prosodie du chanteur, qui fait parler le texte, n’y est pas pour rien. Le dernier, Pitichinaccio, avec ses longs cheveux blonds et son bouc de mousquetaire, présente une mine dédaigneuse. Les spectateurs les plus attentifs aux détails se plairont à entendre la voix si caractéristique de Yann Beuron dans le sextuor magnifiquement interprété de ce troisième acte.
Nadine Koutcher, Yann Beuron, Rodolphe Briand et Stéphanie d'Oustrac (© Julien Benhamou)
Paul Gay interprète le tenancier Luther ainsi que Crespel, le père d’Antonia. Le baryton compense par sa prestance et la chaleur de son timbre, notamment dans des graves, des approximations rythmiques qui rendent le trio de l’acte II l’associant au Docteur Miracle et à Hoffmann assez brouillon. Dans le même acte, Doris Sofel interprète le spectre de la mère d’Antonia de sa voix riche et charnue, légèrement stridente dans les aigus. François Lis, affublé d’une crête du plus bel effet pour son rôle de Schlemil, met à profit ses maigres interventions pour faire entendre sa voix puissante et noble. Parfait comédien, Rodolphe Briand est un Spalanzani dynamique et inspiré. Enfin, les deux étudiants, Nathanaël et Hermann, interprétés par Cyrille Lovighi et Laurent Laberdesque, sont très en place, tant musicalement que théâtralement.
Doris Soffel dans les Contes d'Hoffmann (© Julien Benhamou)
Sous la direction d’un Philippe Jordan inspiré, l’Orchestre de l’Opéra de Paris fait ressortir les couleurs de la partition par un travail savant sur les nuances et les variations de tempo, afin de valoriser la musique d’Offenbach, la mise en scène et les chanteurs. C’est ainsi que des pupitres ressortent parfois opportunément pour souligner une émotion, un gag ou une action. La direction du difficile sextuor de l’acte III est parfaite d’exactitude. Le Chœur de l’Opéra de Paris, en revanche, peine à chanter d’une seule voix, d’importants décalages avec la fosse, mais aussi au sein de l’ensemble, noyant de belles pages musicales (à l’acte I notamment) dans un brouillard harmonique. Les jeux de scène et les danses enthousiastes ne compensent que partiellement cette déception.
Ramon Vargas devant le décor de l'acte III (© Julien Benhamou)
La mise en scène de Robert Carsen, déjà bien connue, est sans doute l’une de ses plus réussies : esthétique, intelligente, variée et drôle, elle utilise l’espace scénique et les moyens techniques offerts par Bastille avec justesse et sans flonflon, pour une mise en abîme bien filée. Le prologue et l’épilogue se déroulent en coulisse, laissant apparaître le gigantisme du plateau de Bastille. Le premier acte se passe sur une scène d’opéra, sur laquelle Olympia est donnée en spectacle. L’action descend ensuite dans la fosse où Antonia regarde la scène, se morfondant de ne pouvoir y chanter. Enfin, le troisième acte place le public face à lui-même. Pour cette partie, le public est ainsi placé face à l’envers du rideau, qui se lève sur les sièges d’une salle de spectacle, occupée par le chœur, qui se meuvent au rythme de la barcarolle. A la fin du sextuor de l’acte III, les chanteurs se retournent ainsi vers le chœur qui leur réserve une standing ovation tandis que le (vrai) public montre son enthousiasme dans leur dos.
Gageons que la pression retombant après cette Première tant attendue, l’ensemble gagnera en fluidité pour atteindre le plein potentiel d’une belle mise en scène servie par de très grands artistes. Lors des trois dernières dates, le rôle-titre sera interprété par le formidable ténor italien Steffano Secco qui gagnerait à obtenir en France la popularité qu’il détient en Italie (le voir en vidéo dans cette production).
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