Berlioz et Britten à la Philharmonie de Paris : du cor marin et du corps mourant
Dans les Quatre Interludes marins de « Peter Grimes », l'Orchestre de Paris devient une mer. L'aigu des cordes et le son fin des flûtes s'emplissent d'embruns. Pour l'auditeur, le début du concert est une fenêtre ouverte apportant un grand bol d'air marin. Les thèmes musicaux passent d'un pupitre à l'autre, dans un effet de vagues balayant l'orchestre. En particulier, les bassons et les cuivres se répondent en alternances, avec une très longue profondeur et résonance de son (qui ne sont pas seulement l'effet de l'acoustique de la Philharmonie mais aussi du talent des musiciens). Les vagues se font des roulis dans les puissants forte de pupitres graves très fournis (8 contrebasses, 4 cors, 2 bassons et cuivres renforcés par un impressionnant sous-basson et un énorme tuba).
Les mouvements de l'élégant chef d'orchestre Daniel Harding sont d'une grande précision. Il sautille, se déhanche d'un côté en tendant la pointe du pied de l'autre, tel un danseur. Le mélomane comprend immédiatement les raisons qui lui ont valu d'être nommé directeur musical de l'Orchestre en septembre dernier. Il place parfaitement les nombreux contre-temps et les percussions (le timbalier Camille Baslé supporte notamment l'édifice avec ses roulements maîtrisés et ses martèlements dignes d'un capitaine de galère). Dans ce début de soirée, les violons 1 et 2 sont placés aux deux extrémités gauche et droite de la scène, de part et d'autre du chef. Un effet de stéréophonie en ressort, renforçant les mouvements de houle.
Benjamin Britten (© DR)
Seul un petit orchestre de cordes, presque de chambre, débarque sur le rivage du deuxième morceau de la soirée : la Sérénade pour Ténor, Cor et Orchestre à cordes. Le cor solo est tenu par Benoit de Barsony, qui est issu des rangs de l'orchestre de Paris : il n'a pas fallu engager un soliste pour le concert, ce qui rappelle la qualité de la formation parisienne dont la plupart des membres est digne d'un grand rôle. La partition est certes exigeante pour un instrument plus habitué à donner du volume qu'à démontrer une grande maîtrise de lignes mélodiques et le corniste met un peu de temps à se chauffer. Il parvient toutefois à proposer un subtil contrechant au ténor sachant jouer de la sourdine ou obstruant son pavillon de la main droite. Le cor est même bouleversant lorsque lui sont confiées les notes du mode mineur dans l'Élégie de William Blake (1757-1827). Le ténor Mark Padmore est remarquable d'implication et même de courage. Comme le cor, il est exposé, mis à nu dans de longs passages solistes ou en duo. Le texte est aussi bien récité et joué que chanté. Le ténor serre ses mains pour contrôler son soutien et s'appuie sur les consonnes pour lancer des voyelles éloquentes (notamment les « dying, dyin', dyiii... »). S'il allège la voix dans un détimbré (effet de style rendant le chant plus cristallin) délicat sur « This ae night » (« Cette nuit » dans un Chant funèbre anonyme du XVe siècle), il est alors presque recouvert dans les rares passages orchestraux forte. Sa voix doit être, à ces moments, imperceptible pour les spectateurs assis derrière l'orchestre (dans cette salle parisienne où le public est disposé tout autour de la scène). La toute dernière phrase « And seal the hushèd Casket of my Soul » (« Verrouille l'écrin secret de mon âme » dans le Sonnet de Keats) est une tenue infinie avec douce dissonance. Le corniste qui avait quitté la scène pour se rendre dans un couloir conclut alors le morceau. Le public se demande alors d'où ce son peut bien provenir dans l'acoustique tournoyante et décidément étonnante de cette Philharmonie.
La soirée s'achève avec la Symphonie dramatique Roméo et Juliette de Berlioz qui est un catalogue des plus beaux mariages de timbre. L'écriture du compositeur français met en avant la cohésion de l'Orchestre de Paris. Les trios de flûte, hautbois et clarinette s'accordent avec les violoncelles en pizzicato. Les cordes frémissent et s'accélèrent à un tempo effréné dans le Scherzo (plaisanterie évoluée du menuet) : le 3ème corniste a tout juste le temps de vider les excès de salive de son instrument ! L'ensemble de ces mouvements bien choisis parmi l’œuvre de Berlioz donne une impression de profondeur et de festivité en ménageant un immense crescendo.
Hector Berlioz (© DR)
Construire une salle philharmonique à la Porte de Pantin posait une question : le public viendrait-il nombreux et renouvelé une fois passée l'attraction de la nouveauté ? La salle comble et jeune apportait ce soir-là un témoignage de la réussite actuelle du projet. Ce public enthousiaste et visiblement nouveau applaudit chaleureusement les musiciens, y compris entre les mouvements d'une même œuvre (ce qui n'est pas dans la tradition classique).
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