Remords éternels de Madame Butterfly : La Biennale de Venise à La Fenice
La scène de ce théâtre lyrique devient ainsi à la fois lieu de représentation pour l’opéra de Puccini et lieu d’exposition d’art contemporain. Cette mise en scène où Mariko Mori réalise décors et costumes est dominée par une gigantesque sculpture représentant un ruban de Möbius, suspendu puis au sol. Cette boucle tournée en elle-même de sorte à n’avoir qu’une seule face représente ici le cycle sans fin de la vie et de la mort, du plaisir et de la souffrance, la métamorphose de la chenille en papillon (Butterfly), les liens entre Orient et Occident.
Les personnages ont de fait tendance à errer, à flotter sur la scène, à se confondre comme parmi les nuages (même leurs souliers semblent avoir été insonorisés pour que chacun glisse sur le sol) et le souffle des événements est alors impulsé par les trois jeunes danseurs qui servent même le thé avant une danse du papillon couronné.
Dans cet univers esthétisé et épuré, la tragédie est dictée par l’interprétation attentive mais néanmoins viscérale du chef Sesto Quatrini, dans un alliage entre tradition retenue et débordements qui est celui de cet opéra : sa vision illustrative ne dédaigne pas les extrêmes voire même une brutalité résonnant avec la douleur de ce drame.
Madame Butterfly entre en scène comme en procession, dans une longue diagonale, avec sa famille et sa suite, telle une princesse intergalactique dans une longue tunique. La soprano Monica Zanettin ne force aucunement ses mouvements ou sa voix, pas davantage qu’elle n’imite les traditions orientales ou lyriques pour en rendre ici l’alliage avec subtilité et modernité. Entre réflexion et contemplation scénique, elle déploie des aigus corsés surmontant une large gamme de couleurs projetées avec naturel.
Le ténor Vincenzo Costanzo propose un Pinkerton vaillant et radieux (pour d’autant mieux déployer son remords final), sa voix sonnant avec une diction claire, un phrasé aisé, une émission contrôlée dans les aigus (mais couverte par l’orchestre).
Alberto Mastromarino donne au consul Sharpless une dimension fine et sensible, d’un ton à la fois paternel et troublant, ressortant dans ses vibrati.
Manuela Custer rend la double dimension de la suivante Suzuki : à la fois vigoureuse et émouvante, par sa présence vocale proche de l’auditoire et physiquement proche de Butterfly (et des danseurs dont les mouvements se mettent en phase avec sa large gamme vocale, sa diction et son souffle précis).
Goro est astucieux et captivant sous les traits et avec la voix agile de Cristiano Olivieri, toujours à l'unisson avec l'orchestre et les autres solistes.
L'arrivée de l'oncle Bonzo interprété par Cristian Saitta est soulignée par un puissant trait de l’orchestre, qui sait pouvoir s’exprimer sans couvrir cette voix de basse claire et articulée. Ce respectable Bonze jette d’emblée les foudres vocales de sa voix puissante, au timbre tranchant.
Armando Gabba calibre le caractère de Yamadori, rappelant que son nom signifie “voie de la montagne” par les résonances de son chant et la largeur maîtrisée de son timbre de baryton.
Julie Mellor donne à Kate Pinkerton un caractère glacial mais une voix à la fois concentrée et imposante.
Dirigé par Alfonso Caiani, le chœur hors scène inonde le public de vibrations vocales calibrées et sobres avant de couper le souffle du public par son tendre et nostalgique chant bouche fermée.
Finalement, la sculpture centrale devient un cocon dans lequel vient se lover l'enfant.
Le public applaudit très chaleureusement et debout l’ensemble de la distribution.