La Cenerentola, pudique et touchante au Palais Garnier
Cette reprise de la production de Guillaume Gallienne confirme la lecture du comédien : pas de burlesque extraverti, mais des personnages “sincères” qui visent à toucher plus qu’à faire rire. Le couple central est marqué d’une différence : Angelina porte avec elle la timidité d’une vie de brimade, le prince a une jambe malade qui donne une autre couleur à son travestissement en domestique ou à sa question “ai-je donc l’air d’un monstre ?”. Les autres personnages ont aussi leur part de sérieux : pas de toilette bigarrée pour les sœurs qui gagnent en dignité ce qu’elles perdent en pure comédie, Alidoro est une présence mystérieuse qui traverse la scène, et la violence de Don Magnifico n’est pas oubliée. L’ensemble est ponctué de quelques gags (parfois un peu attendus, comme cette entrée des prétendantes ou ces enfants déguisés en âne), qui viennent animer l’atmosphère menaçante et un peu mystérieuse des décors d’Éric Ruf, que ce soit cette façade engloutie du vieux palais de Don Magnifico ou ce profond décor pompéien de la cour du prince, embrumé par les fumées d’un volcan. Une vision sans trop de fantaisie mais ayant à cœur de donner à chaque personnage sa couleur propre.
C’est Gaëlle Arquez qui emprunte ce soir les haillons d’Angelina. Dès les premières notes d’“Una volta c’era un Re”, elle propose son timbre rond et suave, au vibrato un peu serré, qui sonne voluptueusement dans le medium mais parfois plus gêné aux extrêmes de la tessiture. Cette légère fragilité, alliée à l’élégance naturelle de la chanteuse, compose un personnage touchant, un peu introverti et doux. Si une vraie émotion passe dans le final, où l’héroïne se libère et laisse éclater son soulagement, la voix y est davantage exposée, notamment dans l’aigu, ce qui n’empêche pas le public d’applaudir chaleureusement l’interprète.
Son prince Don Ramiro a les traits ce soir de Dmitry Korchak. Le ténor est une valeur sûre, à l’instrument conquérant : les aigus sont percutants, la voix sonore et ancrée dans le corps fait merveille dans “Si, ritrovarla”. Néanmoins, avec ces voyelles très ouvertes et certains sons attaqués par en bas, il rappelle davantage Nemorino qu’un prince, le chant étant plus généreux qu’élégant même si le comédien est très investi et attire la sympathie sur son personnage blessé.
L’élégance est davantage du côté de Vito Priante en Dandini à la performance remarquée. Le baryton est pleinement à l’aise vocalement et scéniquement dans ce rôle qu’il a déjà beaucoup chanté, lui apportant de l’esprit et de l’autorité. La voix, d’un beau métal sombre, se déploie sur toute la tessiture avec une grande noblesse et de souples nuances.
Scéniquement, Carlo Lepore est au diapason. Capable de captiver par sa seule présence (comme il le fait au début de l’acte II où il est seul devant le rideau de scène), le chanteur prête sa bonhomie et son air rusé à Don Magnifico tout en s’appuyant sur une voix solide aux graves sonores. Si les premières notes paraissent un peu instables, le chanteur se chauffe et parvient sans encombre au bout de ses airs, se montrant particulièrement à l’aise dans le chant syllabique. Son duo à l’acte II avec Dandini est un morceau de théâtre particulièrement savoureux et plus nuancé qu’attendu.
La bonne fée de l’histoire, c’est Luca Pisaroni en Alidoro (Rossini remplaçant la fée par un philosophe et la pantoufle par un bracelet). En ce soir de première, le chanteur parvient fatigué au bout son grand air du premier acte. Si la voix est sonore et fait voir quelques belles couleurs dans le grave de la tessiture, les aigus finissent par blanchir et se serrer. Le chanteur semble inquiet, ce qui ne l’empêche pas d’incarner ce mystérieux personnage avec un mélange de dignité et de tendresse.
Le couple des deux sœurs (académiciennes de l’Opéra de Paris) est très bien assorti, à la fois drôle et sans caricature. Martina Russomanno a plus à chanter en Clorinda : son timbre charnu et puissant, avantagé par sa tessiture de soprano, rayonne sur les ensembles. Marine Chagnon est un peu lésée par la partition (en sœur Tisbe brimant Cendrillon), mais fait entendre un velours de mezzo tout à fait intéressant.
La joie qui n’est pas si visible sur scène est davantage entendue dans la fosse grâce à la direction de Diego Matheuz. Si le geste d’ouverture pouvait faire craindre une certaine raideur, sa direction s’anime peu à peu avec un IIe acte particulièrement épanoui, où l’énergie ne retombe plus. Attentif aux chanteurs dans les nombreux ensembles virtuoses, il obtient des solistes, du chœur et de l’orchestre le plus de nuances possibles.
Le public applaudit chaleureusement un spectacle qui passe comme un rêve un peu mélancolique.