Rayonnant Requiem de Verdi pour ouvrir la saison de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Le très long et absolu silence qui marque la fin de la prestation, suivie à Strasbourg par une ovation enthousiaste d’une rare intensité de la part du public, résume l'esprit même de la soirée, et même de cette œuvre religieuse et lyrique.
Cette Messa da requiem s’inscrit au sein d’un catalogue de musique sacrée restreint, chez Verdi et même au-delà, par sa complète complémentarité avec ses opéras. Cet « opéra en robe d’ecclésiastique » comme le notait assez justement le chef d’orchestre Hans von Bülow, proche de Richard Wagner, ne cache d’ailleurs pas ses influences, tant l’orchestre, le chœur et les solistes s’apparentent au monde lyrique. Pour autant, l’architecture de ce Requiem respecte le rite romain avec une division en sept parties et un texte en langue latine. Œuvre fondamentale et majeure au sein de la production musicale globale de Verdi, ce Requiem parle directement au cœur du public par la densité expressive qui s’en dégage, son orchestration contrastée, très variée et en premier lieu, par la sincérité évidente qui en émane.
Nommé à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg au début de la saison dernière, Aziz Shokhakimov né à Tachkent en Ouzbékistan en 1988, frappe un grand coup avec cette interprétation qui augure bien de la suite de sa carrière dans la capitale alsacienne. Enflammée et attentive à créer un climat dramatique persistant, sa direction musicale ardente n’en oublie pas pour autant le côté mystique de l’ouvrage dont il souligne, via les parties chorales notamment, toute la dimension. Il parvient à établir un équilibre -quelquefois débordant avec ce Dies irae qui tétanise par sa puissance et sa ferveur-, ou plus axé sur la profondeur et la douleur (Sanctus). L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, phalange nationale, déploie sous sa baguette de multiples trésors et s’engage sans jamais défaillir sur le chemin que lui trace son chef. Les cuivres ici puissamment sollicités recueillent leur part d’applaudissements par leur netteté et leur engagement.
Ces mêmes qualités intrinsèques s’appliquent au Chœur de l’Opéra du Rhin complété par le Chœur Philharmonique de Brno, préparés avec beaucoup de soin par leur chef respectif, Alessandro Zuppardo et Petr Fiala. L’homogénéité d’ensemble apparaît patente et la précision, la puissance marquent pleinement leurs interventions. Une mention toute spéciale doit être tout de même accordée au pupitre des basses, impressionnant.
Au plan des solistes, deux artistes dominent sans conteste le plateau. Benjamin Bernheim livre une prestation radieuse avec de plus tout un supplément d’âme et une richesse musicale démontrant la maturité qui est désormais sienne. La voix s’élève avec facilité, l’aigu flamboie au sein d’un Ingemisco racé, puissant mais aussi attentif au texte en lui-même. Il domine sans aucune difficulté les ensembles.
La mezzo-soprano Jamie Barton déploie une voix grave suffisamment large, aux assises profondes tout en révélant un aigu de fière allure. Contrairement à sa récente Eboli du Metropolitan Opera au sein du Don Carlos de Verdi en version française, représentation retransmise au cinéma en mars dernier, elle soigne plus attentivement son chant en privilégiant quand il le faut la nuance et la finesse.
La basse estonienne Ain Anger maîtrise bien sa partie. La voix est généreuse certes, le grave profond et cuivré, la ligne de chant attentive. Mais l’artiste impressionnant à la scène dans le répertoire wagnérien, semble ici un peu décalé voire en retrait en termes d’implication.
Remplaçant Krassimira Stoyanova souffrante, la soprano italienne Serena Farnocchia déploie l'aigu avec aisance et s’inscrit avec volupté dans l’espace, mais le médium apparaît un rien sourd et les parties plus graves disparaissent. L’engagement pourtant est formel, mais ne permet pas de transfigurer le final du Requiem, le fameux Libera me.
L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg ouvre ainsi une nouvelle saison musicale particulièrement riche, qui sera notamment marquée en avril par une version concertante de Carmen (Bizet) sous la baguette de John Nelson avec Joyce DiDonato, Michael Spyres (Don José), Elsa Dreisig (Micaëla), Alexandre Duhamel (Escamillo), Florie Valiquette et Adèle Charvet (Frasquita et Mercedes), Thomas Dolié (Moralès), Nicolas Courjal (Zuniga), Philippe Estèphe (Le Dancaïre), Cyrille Dubois (Le Remendado) et Michel Fau en Lillas Pastia : nous vous en rendrons compte sur Ôlyrix.