Le Festival Berlioz présente Rigoletto sur instruments d’époque
De prime abord, l’idée de jouer Rigoletto pour célébrer Berlioz peut surprendre. De fait, la soirée n’avait pas été prévue ainsi : Valery Gergiev devait être invité mais le Directeur du Festival, Bruno Messina, y a renoncé du fait de la situation géopolitique et des accointances du chef avec le régime russe. En urgence, l’ensemble sur instruments d’époque Le Cercle de l’Harmonie et son chef Jérémie Rhorer qui présentaient l’opus verdien à Brême en cette fin août et le reprendront à Beaune l'année prochaine, ont été sollicités pour combler le vide. Cela tombe bien, Verdi ayant lu et apprécié le Traité d'orchestration de Berlioz, un lien entre ces deux compositeurs était vite trouvé. Faisant d’une pierre deux coups, Le Cercle de l’Harmonie pouvait dès lors dépanner sur un second projet en intégrant à son effectif le Jeune Orchestre Européen Hector Berlioz, habituellement coaché par François-Xavier Roth qu’un projet (Berliozien, heureusement) retenait cette année en d’autres lieux.
Jérémie Rhorer dirige son orchestre avec une certaine grâce. Dans son costume cintré, il prend des poses qui lui sont propre : en cowboy les jambes arquées, plus disco avec les pieds positionnés à 90°, ou tel un escrimeur se fendant, la baguette tendue vers l’orchestre qui réagit aussitôt, apportant ainsi un relief certain à leur interprétation, souvent menée à un tempo rapide. Le son légèrement plus acide des instruments d'époque confère par exemple à la première scène de Sparafucile une tension supplémentaire. L’enthousiasme de l’orchestre le conduit à couvrir les chanteurs dans les premières minutes, avant que le bon réglage ne soit trouvé. Seuls les cuivres peinent à se modérer et écrasent parfois le reste de l’orchestre ou des chanteurs. Mais le duo entre Gilda et Rigoletto à l’acte II bénéficie d’un accompagnement d’une délicatesse extrême qui magnifie ce passage. Les artistes du Chœur de la Musikfest Bremen s’appuient sur leurs partitions (ce qui est étonnant pour un ouvrage aussi important) mais se montrent attentifs et bien en place. Ils chantent toutefois un peu fort durant la scène de l’enlèvement, lui enlevant une part de son mystère.
Si le panneau sur les portes du Château Louis XI, dont la cour accueille les spectacles du Festival en extérieur, indique bien une « version de concert », c’est en fait plutôt une mise en espace qui est proposée, les chanteurs jouant l’action à l’avant-scène, sans partition. Dalibor Jenis interprète le rôle-titre d’un bel italien. Pas forcément à l’aise en bouffon, il trouve son assurance dans la douleur du père, montrant bien le pathétique du personnage à l’acte II. Sa voix est très centrale, son phrasé est très accentué et son timbre brillant, avec un vibrato lent et long.
Olga Peretyatko chante Gilda avec une technique parfaite, mais qui manque d’incarnation dans certains passages : les vocalises sont alors plus chantées comme une démonstration de capacité que comme l’expression d’un sentiment traversant son personnage. La voix manque ainsi par exemple de la légèreté juvénile qui sublimerait son duo avec Rigoletto à l’acte I. Ceci étant, son timbre duveteux aux belles couleurs fleuries, ses trilles perlés tenus, mais aussi la touchante détresse exprimée au dernier acte, lui valent un accueil chaleureux du public au moment des saluts. Son personnage expire finalement dans un très long dernier soupir vocal, tenu d’une voix filée et maîtrisée.
Liparit Avetisyan, Duc de Mantoue au jeu scénique investi, reçoit les applaudissements les plus nourris du public. Son timbre roussi et son émission aisée, tant dans des aigus éclatants que dans des graves poignants n’y est pas pour rien. Son phrasé intelligent, apportant beaucoup de musicalité à son interprétation, non plus. Son vibrato est vif, rapide et fin. Il chante son air de l’acte II les yeux fermés, le buste relevé, très inspiré.
L’interprétation de Sparafucile par Alexander Tsymbalyuk ressort par la largeur de sa voix aux somptueux graves extrêmes, riches en harmoniques. Il applique à son personnage une certaine réserve qui sied bien à ce « tueur honnête ».
Le rôle de Maddalena, qui devait initialement être chanté par Victoria Karkacheva, l’est finalement par Adriana di Paola (ce remplacement de dernière minute expliquant la présence intrigante d’un pupitre à l’avant-scène à jardin, qui n’est finalement pas utilisé). Sa voix très grave et noire, puisée dans la poitrine, manque de stabilité et donc de justesse. Les rires moqueurs de son personnage pourraient également être plus incarnés pour apporter plus de sens et de dynamique à l’ensemble.
Nicolas Legoux manque sans doute un peu d’ampleur vocale en Comte Monterone : sa voix rauque et sombre est certes menaçante mais pas tonnante. Sa haute stature et sa dignité en font en tout cas un père attendrissant. Les trois courtisans chantent groupés, penchés les uns vers les autres, maintenant un regard moqueur même face à la complainte de Rigoletto. Yu Shao en Borsa peine à faire entendre son timbre léger et frais, mais partage avec ses deux compères un phrasé dynamique. En Marullo, Dominic Sedgwick complote d’une voix corsée et mate, assez ténébreuse et fine. Leon Kosavic se met en avant dans ce trio, en Comte Ceprano, par ses graves sombres et brillants, bien émis.
Luxe étonnant, c’est Julie Robard-Gendre (Compositeur enthousiasmant dans Ariane à Naxos à Limoges récemment) qui chante le très court rôle de La Comtesse, d’une voix chaude, joliment couverte et percutante, dotée d’un vibrato très rond. Ema Nikolovska chante à la fois Giovanna et le Page d’une voix fine et vive, bien projetée. Elle élargit toutefois la voix pour donner de mauvais conseils à Gilda, et accentue son vibrato en Page malmené par les courtisans.
Alors que Gilda meurt sur la scène, un papillon blanc, brillant sous les projecteurs, voltige au-dessus, comme un symbole. Le public offre quant à lui aux interprètes du soir une ovation debout.
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