Berlioz de Gala au Festival de La Côte-Saint-André
L’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, placé sous la baguette de son Directeur artistique Jean-François Verdier, interprète d’abord l’ouverture des Francs-Juges, opéra qui n’a jamais pu être créé et dont Berlioz a détruit l’essentiel de la partition. Ces pages, gardées comme une pièce à part, sont déjà audacieuses et savoureuses. Le chef tient sa baguette du bout des doigts : une battue claire et expressive à la fois, lui permettant d’aller chercher les élans derrière lui pour les jeter à l’orchestre qui les interprète avec justesse. A la fin de chaque pièce, il tient sa baguette suspendue quelques instants pour retenir les applaudissements, afin de laisser résonner les dernières notes et le silence.
Mathias Vidal fait ensuite son entrée pour interpréter La Mort d’Orphée, cantate composée par Berlioz pour le Prix de Rome. Elle lui vaut un échec mais elle est fidèle au compositeur : hardie et insouciante. Sa version voit Orphée être soumis à la fureur des Bacchantes. Le ténor, très expressif, prononce son texte très distinctement, y compris dans les nuances les plus puissantes, quitte même hacher sa ligne vocale. Sa voix est très couverte, ce qui participe de la richesse de son timbre. La Bacchanale montre toute la fougue dans l’écriture de Berlioz : les Bacchantes crient vengeance tandis qu’Orphée appelle à l’aide dans un furieux et saisissant contrepoint. La voix de Mathias Vidal ressort d’abord avec vigueur au-dessus du chœur, avant d’y être englouti tandis que son personnage se meurt et que le chœur célèbre sa victoire. Dans un dernier souffle, il lance un « Euridice » dans un très fin piano subito. Le tableau musical qui suit se fait enveloppant, mené par la douce lamentation de la clarinette, placée pour l’occasion sur les gradins en arrière-scène.
C’est ensuite au tour de Karine Deshayes de venir à l’avant-scène. La mezzo-soprano chante La Captive, mélodie composée sur un poème de Victor Hugo alors que Berlioz résidait à la Villa Médicis de Rome, puis l’air de Marguerite dans La Damnation de Faust, « D’amour l’ardente flamme ». La mezzo-soprano dispose d’aigus acidulés, d’un médium sucré et de graves épicés. Quelques notes sont prises par en-dessous, mais elle tient de longues phrases, soutenues d’un vibrato chantant, nuancées jusqu’en de doux piani.
Après l’ouverture du Roi Lear, pièce symphonique composée par Berlioz à 28 ans en tant qu’œuvre à part entière, le Chœur Spirito et le Jeune Chœur Symphonique s’attèlent à Tristia, recueil de trois pièces pour Orchestre et Chœur composées entre 1831 et 1844, et qui n’ont jamais été jouées du vivant de Berlioz. Les pupitres de basses ressortent et offrent un solide fondement harmonique. La Méditation religieuse est interprétée avec une délicatesse extrême. Pour la Marche funèbre, six percussionnistes viennent rejoindre les quatre déjà présents, frappant les peaux étouffées de leur instrument avec un entêtement militaire, usant d’un même doigté dans une gestique presque chorégraphiée. Soudain, six mousquets entrent, lèvent leurs armes vers le ciel puis ressortent après un moment de flottement. La déflagration, clou du spectacle, n’est pas partie.
Mais ce n’est que partie remise. Les musiciens de l’orchestre encouragent le public à réclamer un bis, que le chef accepte avec humour : ce dernier mouvement est repris. Les mousquets entrent de nouveau, générant quelques applaudissements d’encouragement dans le public amusé. Les spectateurs se doutent que cette fois sera la bonne, mais sursautent tout de même lorsque ce climax est atteint. Le son des tambours s’éloigne sur une longue note tenue par le chœur, tandis qu’une odeur de souffre gagne la cour du Château.
Le public acclame les artistes du soir, tandis que les musiciens reproduisent en tapant des pieds le schéma rythmique des tambours. Publics comme artistes quittent la salle le sourire aux lèvres, la curiosité assouvie par la découverte de ces œuvres rares.
Retrouvez également nos autres comptes-rendus du Festival Berlioz