L'Or du Rhin à Bayreuth, une famille au bord de la crise de nerfs
Adieu Nibelungen, géants, dieux et naïades… Le rideau qui se lève sur cette nouvelle Tétralogie à Bayreuth déplace l'intrigue dans l'univers lisse et aseptisé d'un très moderne conflit familial monté à la manière d'une série télé (annoncée comme telle). Le metteur en scène Valentin Schwarz gomme systématiquement les éléments autour desquels s'articule la dramaturgie du Ring. Effaçant certains aspects, il en hypertrophie d'autres en juxtaposant de bonnes idées (le lien gémellaire entre Wotan et Alberich) aux idées plus discutables (le vol de l'or transposé en rapt d'enfant et demande de rançon). Le résultat peine visiblement à convaincre le public accueillant par une bordée de huées cette proposition scénique.
Il faut intégrer le fait que Valentin Schwarz donne de la Tétralogie une lecture qui ressemble à une suite d'intrigues gigognes où les scènes s'enchaînent à la façon d'une série avec des ponts dramaturgiques d'un épisode à un autre. Au-delà de l'attention méticuleuse à relever un nombre très important d'idées et d'options, la mise en scène ne laisse jamais penser que ces idées et ces options peuvent avoir une place efficiente dans la globalité. Les dieux sont des parvenus englués dans le désœuvrement consumériste, et parfaitement égoïstes dans leur relation à l'autre.
Le Nibelheim dévoile un atelier de fillettes séquestrées par Mime et Alberich sans permettre de comprendre au juste comment elles sont arrivées là ni dans quel but elles trompent l'ennui en dessinant des visages de Wotan. Déplaçant et gommant systématiquement tous les symboles-leitmotives, la mise en scène fait l'économie de l'aspect purement spectaculaire attendu ici (le dragon, le crapaud, l'arc-en-ciel etc.).
En fosse, Cornelius Meister déçoit lui aussi l'auditoire, en alternant langueur et pesanteur sans jamais offrir le fil qui lui permettrait de dynamiser le discours et soutenir efficacement la scène. Le résultat rappelle les dangers de disposer de peu de répétitions et combien une direction musicale doit chez Wagner (et particulièrement à Bayreuth) se faire le relai d'une mise en scène.
Même sentiment hélas face au Wotan d'Egils Silins, aux couleurs si grises et manquant de relief, à la peine dans la première montée vers l'aigu et trop brouillon dans la prononciation et l'intonation pour pouvoir camper les atermoiements intérieurs du personnage. Le Mime d'Arnold Bezuyen étranglé dans l'aigu, hésite entre bouffe et caractère, laissant l'auditeur dans un entre-deux à la fois vocalement et scéniquement.
Daniel Kirch triomphe en revanche en Loge, pleinement maîtrisé dans la présence en scène et le côté goguenard de la projection. Ses qualités d'abattage et de relief sont pleinement efficaces et méritent l'accueil chaleureux du public. Attilio Glaser fait oublier la brièveté du rôle de Froh grâce à un instrument au format vocal très sain et très clair. D'une ampleur très intense et sonore dans la scène conclusive, Raimund Nolte fait de Donner un rouage essentiel de l'action scénique au-delà du simple registre d'emploi. L'impressionnante Freia d'Elisabeth Teige brille dans l'autorité et la surface vocale, avec son affolement tout en pépiements d'aigus et la rancœur dissimulée par une façon de voiler la ligne dans le medium, au moment où elle revient parmi des dieux qui l'ont précédemment abandonnée. Erda appartient corps et âme à Okka von der Damerau, interprète absolument marquante d'impact et de ressource dans la manière de rendre audible un souffle à toute épreuve et une ligne lyrique où palpitent la couleur sombre et l'éclat du métal.
Christa Mayer révèle de belles qualités de legato et de couleur dans le rôle de Fricka auquel elle confère une ampleur de note qui traduit l'intelligence de la respiration et de la caractérisation vocale. L'Alberich d'Ólafur Sigurdarson joue avec succès la carte d'un phrasé mordant et la cruauté du timbre, donnant à la scène de la malédiction de l'or un caractère particulièrement maléfique et acerbe. Très contrastés également, les deux géants Jens-Erik Aasbø (Fasolt) et Wilhelm Schwinghammer (Fafner) dominent leur sujet par l'emploi d'un instrument noble et souverain dans le grave. Peu sollicités scéniquement, ils s'appliquent à démontrer des qualités de timbre et de projection qui laissent toutefois de côté la pure noirceur psychologique au profit d'une densité vocale particulièrement entretenue.
Les filles du Rhin sont hélas mal appareillées avec Woglinde (Lea-Ann Dunbar) et Floßhilde (Katie Stevenson) trop rêches et trop vibrées mais Stephanie Houtzeel remarquée en Wellgunde qui sait colorer la ligne sans se départir d'un phrasé d'une parfaite lisibilité, complétant la distribution vocale d'un bon niveau général et accueillie comme telle.