Cure de jouvence pour L'Amazone corsaire de Pallavicino à Innsbruck
Les amazones ont le vent en poupe et plusieurs productions leur sont consacrées (tel le récent récital de Lea Desandre, Talestri, Reine des Amazones par la Princesse de Bavière ou deux opéras de Pallavicino dont l’un déjà donné au Festival de Beaune cette année). La fascination pour ces femmes au caractère bien trempé et à la personnalité exceptionnelle perdure à travers les siècles et depuis le XVIIème, époque où l’Amazone est une métaphore comparant l’amour à la guerre et le mariage à l’esclavage.
Conforme à cette vision, Carlo Pallavicino (compositeur italien né vers 1630 ayant partagé sa vie entre Padoue, Venise et Dresde où il mourut en 1688) consacra à ce mythe deux de ses opéras parmi les 24 recensés : Le Amazzoni nell'isole fortunate et L’amazzone corsara overo l’Alvilda, regina de Goti. Alvilda y est certes l’amazone ayant pris la mer déguisée en pirate pour échapper au mariage (pour être finalement capturée), cependant la volonté des deux autres personnages féminins est aussi essentielle.
Trois couples illustrent différentes façons d’aborder l’amour. Alvilda refuse les avances du roi Alfo, ce dernier utilisant alors de faux semblants pour parvenir à ses fins. Elle devient son esclave et est contrainte de capituler. De son côté, afin d’avoir le consentement de son père Ernando, Gilde emploie des stratagèmes déstabilisant Olmiro son amoureux jusqu’à le rendre fou furieux. Par contraste, l’amour est épanoui et libéré entre les serviteurs Irène et Delio.
Les retournements et circonvolutions typiques des opéras baroques sont ici rendus compréhensibles par la mise en scène minutieuse, qui tire profit de ses moyens limités avec des décors mobiles manipulés par les figurants-serviteurs (pour représenter tour à tour bibliothèque, intérieur de palais, donjon-prison, jardin). Afin d’exprimer les différents affects, les chanteurs utilisent en continu une pseudo gestique baroque redondante, comme le fait de tourner le doigt autour du visage à chaque fois qu’ils suggèrent la beauté. La mode du XVIIème est suggérée par les perruques, rubans, dentelles, dans des costumes aux couleurs vives (conçus également par le metteur en scène). Les protagonistes chantent toujours face public ébauchant parfois des pas de danse et des mouvements stylisés. A cela s’ajoutent des scènes d’escrime et même de magie.
Le résultat se montre ainsi divertissant, notamment par sa légèreté, sa vivacité et son humour, sollicitant grandement les chanteurs qui s’intègrent ardemment dans cette mise en scène. Quatre d’entre eux sont lauréats du concours international d’opéra Pietro Antonio Cesti (leur ayant permis de décrocher ces rôles).
La soprano Shira Patchornik (premier prix de ce concours), dans le rôle travesti d’Olmiro, réalise une performance équilibrée entre qualités vocales, rendu du texte, jeu scénique et expressivité. Dès son premier air ("Amor, tu sai perché") elle manifeste son amour pour Gilde dans des tenues messa di voce éloquentes. Gagnée par la folie d’aimer sans retour, sa voix rayonnante s’intensifie dans des vocalises brillantes et, tel un mousquetaire furieux, elle veut tuer père et fille.
Son amoureuse Gilde est interprétée par la soprano Hannah De Priest (deuxième prix de ce même concours) semble s’amuser à interpréter ce personnage espiègle et moqueur. Le fou rire sous-jacent accompagne chacune de ses interventions et est accentué par le mouvement intempestif de ses boucles anglaises. Elle ne perd pas son accroche brillante même lorsqu’elle effectue quelques pas de danse. Sa vocalité et ses aigus s’épanouissent triomphalement lorsqu’elle veut contrer la colère d’Olmiro ("Per dar pace"). Sa voix gagne en profondeur lorsqu’elle met de côtés ses sarcasmes et affirme son amour pour son bien aimé dans un des rares duos de la partition ("Se piango, se peno").
Le couple Irena et Delio est interprété par deux chanteurs français également récompensés : Marie Theoleyre et Rémy Brès-Feuillet (prix jeune talent). Tous deux évoquent la Commedia dell’arte dans leurs attitudes et dans leurs échanges, toujours dynamiques, amusant le public. La soprano pétillante égraine des vocalises assurées en dialogue avec la trompette dans l’air du prologue. Elle orne souplement les da capo (reprises) des airs en préservant une vibration délicate tout en nuançant son discours selon les affects. La présence volubile du contre-ténor s’accorde avec son agilité vocale qui dans un premier temps semble quelque peu maniérée, pour s’affirmer progressivement. Utilisant uniquement le registre de tête qui s’harmonise avec sa silhouette gracieuse, sa voix demeure cependant ronde et résonnante.
Helena Schuback interprète l’amazone Alvilda, reine des Gautes (petit territoire suédois) en apparaissant dans les couleurs de son royaume, jaune et bleu. Sa détermination s’entend dans ses vocalises sans faille et dans le recours à la voix de poitrine lorsque la colère l’emporte. Cependant, l’intensité pour ce rôle de guerrière terrifiante manque d’affirmation. La voix demeure belle au timbre assombri mais manque de projection et le texte n’est pas toujours compréhensible de par la faible définition des consonnes. Son jeu scénique apparaît lui aussi retenu, moins abouti, notamment lorsqu’elle se soumet à Alfo.
Ce dernier est incarné par le ténor Julian Rohde qui s’approprie les différentes facettes du personnage. Tout d’abord, il incarne la fragilité d’un homme amoureux repoussé, son timbre délicat se mariant à celui de la viole de gambe dans la plainte émouvante "Son costretto à lagrimar". Puis sa détermination à posséder Alvilda prend le dessus, s’accompagnant d’une intensité vocale contrainte par un léger appui laryngé audible surtout dans les aigus.
Rocco Lia prête sa voix de basse au personnage d’Ernando, père de Gilde et précepteur d’Olmiro. Ses riches résonances et le détaché de ses vocalises affirment son autorité. Sa prestation culmine lors de son arrestation à la fin de l’acte 2, sa puissance vocale s’alliant à un legato soutenu tout en préservant une homogénéité sans faille dans les registres extrêmes de sa voix.
Le Barockorchester:Jung sous la direction de Luca Quintavalle propose en termes de couleurs et d’effets rythmiques des récitatifs variés et des textures différenciées selon les intentions dramatiques tout en respectant l’esthétique de la musique vénitienne de cette époque. Du clavecin, le chef insuffle l’énergie de la musique dans une osmose perceptible restant attentif aux respirations des chanteurs.
Dans l’esprit du Festival de musique ancienne d’Innsbruck, cette œuvre oubliée est remise à l’honneur par un travail d’équipe cohérent. Le public enchanté manifeste avec enthousiasme son contentement, remerciant ainsi ces jeunes artistes prometteurs.