La jeunesse s’invite au Teatro Colón pour le récital de Verónica Cangemi et Michael Schade
La jeunesse de Buenos Aires s'est déplacée assez massivement pour profiter d’une opération destinée à renouveler le public d’une institution qui, sur le plan du prix des places (alors même qu’il existe une programmation dédiée aux enfants), a longtemps mis de côté les jeunes adultes et les étudiants qui sont aussi souvent, pour beaucoup, les plus démunis financièrement. Pour 200 Pesos argentins (soit à peine 1,50 Euro au taux de change officiel), les jeunes accèdent à ce tarif unique aux sept étages comme au parterre de la grande salle, selon le principe du premier arrivé (en caisse), premier servi (en salle). Cette initiative à succès, lancée à l’occasion du récent Festival Martha Argerich (en l’honneur et en présence sur scène de la célèbre interprète virtuose née à Buenos Aires), se renouvelle cette fois-ci pour un concert lyrique qui réunit la soprano argentine Verónica Cangemi et le ténor germano-canadien Michael Schade, ce dernier faisant ses débuts au Teatro Colón. Ils sont accompagnés par le pianiste allemand Justus Zeyen.
Intimité programmatique
Le programme de la soirée, en plus de son intérêt propre, présente l’avantage d’être bien adapté pour une découverte double du chant lyrique et du Teatro Colón. Il se compose en deux parties distinctes. La première, consacrée au Lied allemand, s’articule autour de deux figures du genre : Schumann et Schubert. La seconde élargit la perspective européenne en s’ouvrant aux mélodies, romances et chansons en français (Debussy, Berlioz, Fauré, Massenet) et en italien (Antonio Lotti, Giovanni Paisiello et Rossini). À travers cette cohérence générique et chronologique, c’est donc une soirée sous le signe de l’intime qui est de nature à rendre plus accessible l’art du chant lyrique et à rapprocher les artistes de leur public, jeune ou moins jeune. Le caractère décontracté de ce récital, les deux chanteurs s’autorisant à l’occasion des pas de danse et des commentaires souvent humoristiques à l’adresse des spectateurs, aide incontestablement au succès de la soirée en détendant l’atmosphère d’une salle qui peut paraître intimidante.
Complicité et fraîcheur vocales
Les deux voix se découvrant sur scène dans l’art du Lied ou de la mélodie ont aussi l’avantage d’être toutes deux dans une juste mesure pour un public non-initié, sans grandiloquence qui pourrait paraître outrancière ni excès d’emphase ou de virtuosité. C’est une certaine fraîcheur vocale qui caractérise cette union entre Verónica Cangemi et Michael Schade. Tous deux âgés de 57 ans, ils offrent au public leur expérience d’interprètes et un organe vocal, chacun dans leur tessiture, qui sait toucher le public et gagner sa sympathie sans artifice esthétique. Le jeu de leur accompagnateur ne cherche jamais les avants-postes, Justus Zeyen reste à l’écoute des chanteurs en les plaçant dans un écrin d’intimité musicale respectueux du genre à l’œuvre et de ses nuances.
Les deux timbres, lorsqu’ils se croisent (les pièces chantées individuellement par la soprano ou le ténor alternant avec des duos), se marient avec bonheur et s’attirent l’un à l’autre avec un certain élan dynamique. La rencontre vocale trouve dans la complicité des deux chanteurs des liens affectifs qui profitent à l’interprétation, tant au niveau des projections sonores que des gestes esquissés au gré des pièces qui se succèdent, les tonalités oscillant entre langueur, nostalgie, ou passion amoureuse.
Verónica Cangemi, entendue récemment dans le rôle de Mimi ou interprétant Mozart (en récital mais aussi dans La Finta Giardiniera), exprime avec finesse dans le phrasé la couleur de l’intime. Les projections, propres et lisses, sont puissantes et charnues, même si le souffle peut à l’occasion s’avérer un peu court en final. Le répertoire italien est aussi l’occasion de discrètes ornementations belcantistes qui placent l’agilité et la grâce d'une voix sous le masque de la délicatesse et de l’élégance. L’articulation est très ouverte dans les trois langues mais l’expression française manque parfois de justesse, la distinction entre -é fermé [e] et -è ouvert [ε] s’effaçant au profit d’un -i troublant la compréhension des paroles.
Michael Schade possède un timbre agréable dans le registre des bas et hauts médiums (qui sont ronds et pleins), qui sied particulièrement au répertoire choisi. Toutefois, notamment en première partie de récital, le volume est parfois un peu faible et certaines projections dans les aigus en voix de poitrine peuvent paraître forcées et trop nasalisées. L’articulation est plus fermée que celle de sa collègue mais la prononciation du français demeure incontestablement plus respectueuse de la chaîne vocalique de notre langue.
Les trois artistes, chaleureusement applaudis pour leur prestation et remerciés de leur complicité apparente, auront comblé les attentes d’un public venu, pour beaucoup, découvrir les charmes d’un théâtre et d’un art vocal dont il est peu coutumier. En ce sens, le spectacle aura sans doute permis d’attiser et satisfaire une curiosité profitable à l’avenir du chant lyrique à Buenos Aires.