Deux Te Deum du roi Soleil résonnent au Festival de La Chaise-Dieu
Après l'annulation de l'édition 2020 pour cause de Covid et une édition 2021 articulée selon les mesures sanitaires, le Festival de La Chaise-Dieu retrouve son public dans sa splendeur d'antan, sans restrictions de jauge. Cette année marque une transition, avec le passage de flambeau entre deux jeunes dirigeants à la tête de la manifestation, l'ancien directeur organiste Julien Caron et le nouveau, le violoniste Boris Blanco. Cette passation de pouvoir préserve toutefois pleinement la qualité de l'organisation et l'atmosphère de convivialité entre le public, les artistes et les nombreux bénévoles sur place. Après le week-end d'ouverture avec Thibault Noally et Les Accents, qui referment un cycle d’oratorios -méconnus- d'Alessandro Scarlatti (projet phare du mandat Caron), le festival programme une soirée Te Deum, réunissant deux hymnes de deux compositeurs français baroques emblématiques de l'époque du roi Louis XIV (Charpentier et Desmarest) : un “Te Deum de Paris” et l'autre “de Lyon”, interprétés par l'Ensemble Les Surprises sous la direction de Louis-Noël Bestion de Camboulas. Ce concert est précédé par une représentation costumée de la Danse macabre sur les grandes marches de l'abbatiale Saint-Robert, donnée par des casadéennes et casadéens de tous âges, en référence aux fameuses fresques du même thème à l'intérieur de l'église.
La soirée commence par la traditionnelle ouverture au grand orgue, à laquelle la majorité de l'ensemble, située au jubé de l'abbatiale qui sépare l'auditoire en deux, répond en démarrant le programme par des chants religieux de Louis Marchand, mêlés au plain-chant de Monsieur de la Feuillée. Après cette introduction pieuse, musiciens et chanteurs rejoignent leurs homologues sur scène, sur un coup d'envoi donné par les timbales et annonçant les premières notes du fameux prélude du Te Deum de Charpentier (générique de l'Eurovision). Outre une phalange sur instruments d'époque, le chef opte pour une formation plus restreinte, sans flûtes et avec une seule trompette, parmi les vents (contrairement aux indications du compositeur). Moyennement solennel mais assez sonore dans cette acoustique résonante de l'abbatiale, ce prélude met en avant l'habileté remarquée du trompettiste Jean-Charles Denis qui parvient à faire ressortir des passages virtuoses sur cet instrument difficilement maniable. L'ensemble est solidement coordonné mais souffre de quelques inégalités dans la projection, tandis que le chœur manque d'étoffe surtout dans la ligne de basse, souvent inaudible. Le même écueil vaut pour le rapport avec certains solistes vocaux, surpassés par les musiciens derrière leur dos.
La soprano Jehanne Amzal se distingue par une projection droite et pure, son intonation cristalline brillant dans les aigus. La prononciation du latin est impeccable, avec un phrasé élégant qui se fond dans son timbre de velours. Son homologue Eugénie Lefebvre articule solidement son texte, chantant d'une voix bien dégagée et émaillée de vibrato, en bonne entente avec l'orchestre. Bien que les vocalises soient moyennement souples, elle se démarque par une longueur de souffle et une large étendue vocale.
La basse-taille Étienne Bazola est doté d'une ligne ronde et chaleureuse, très agile dans ses exploits solistes. L'instrument ne se projette toutefois pas aussi bien dans les tutti (voilé par orchestre) qu'avec un accompagnement plus chambriste, qui lui permet d'illuminer son timbre soyeux marié avec des graves bien posés et charnus, rehaussés par une articulation sans failles.
La taille François Joron est plus remarquable dans son émission, avec un ton clair-obscur et arrondi. Le phrasé est lisse et stylistiquement en place, très subtil et sonore dans les croisements des voix avec ses collègues. Clément Debieuvre (haute-contre) arbore une gamme vaste et lumineuse, leste dans son mouvement mélodique et rigoureuse dans la justesse rythmique et tonale. La projection est quelque peu vibrée, mais retenue et au service du phrasé.
Parmi les choristes présentés en solo, Amandine Trenc (dessus) est gênée par une nervosité déstabilisante, qui la pousse en avance sur le tempo, enlevant le relief de son interprétation. Sa voix douce est tout de même agrémentée de souplesse et de graves stables et timbrés.
Le ténor (haute-contre) François-Olivier Jean présente une ligne irradiante, chantant avec ardeur et transparence sonore et textuelle. La basse-taille Thierry Cartier complète harmonieusement cette dentelle polyphonique par ses couleurs solaires et ses graves solides, quoique la voix s'avère limitée en termes de force.
Le concert s'achève par le célèbre prélude rejoué en bis, salué par les longs applaudissements du public casadéen.