Variations sur l’amour avec Lea Desandre aux Jardins de William Christie
Au lendemain du concert d’Eva Zaïcik au Miroir d’eau (lire notre compte-rendu), le public est convié à l’église voisine, pour un récital associant le maître des lieux, William Christie, au binôme composé de la mezzo-soprano Lea Desandre et du théorbiste Thomas Dunford. La programmation, choisie par la chanteuse (dont elle "tease" le bis dès le début du concert), compose une suite de morceaux traitant du thème de l’amour. Drôle ou tragique, lente ou vive, baroque ou actuelle, chantée assise ou debout, la musique vibre (souvent sans transition) au rythme des passions, qu’elles soient heureuses ou tristes. Le programme parcourt ainsi Lully, Rameau, Charpentier ou Couperin, Hahn et Offenbach, Chausson ou Ravel, jusqu’à Barbara. Il explore même l’œuvre de compositeurs moins connus, comme Honoré d’Ambruis ou Michel Lambert.
Thomas Dunford, qui s’amuse à chanter des doubles voix, ou à siffloter dans « Auprès du feu l’on fait l’amour » de Charpentier, se montre aussi inspiré dans les pages plus calmes. Il pose parfois tendrement la joue sur son instrument, comme pour le consoler des tristes accords qu’il lui fait jouer. William Christie, droit comme un i, fait chanter son clavecin avec musicalité, et même si quelques fausses notes lui échappent, il garde un large sourire jusqu’au bout du concert, preuve de son attachement aux deux artistes qu'il a vu (et aidé à) éclore. Les deux hommes, vêtus du même costume bleu avec chemise blanche, portent des chaussettes rouges comme la robe de Lea Desandre. Placés derrière elle, ils n’hésitent pas à donner de la voix pour chanter les chœurs chaque fois que l’occasion s’en présente, un large sourire aux lèvres, heureux des rires ainsi provoqués dans le public. Il n’y a en effet pas de secret : quand un artiste prend du plaisir, il le partage avec le public.
Lea Desandre prend elle aussi un plaisir manifeste à chanter dans l’acoustique généreuse de cette église. Elle chante les airs gais d’une voix ductile avec une diction expressive et très compréhensible, un vibrato bien rond et une attention constante aux nuances. Les airs mélancoliques, sans doute moins inspirés théâtralement, laissent l’auditeur se concentrer sur son timbre riche, moelleux et charnu. Pour certains morceaux, elle garde sa partition près d’elle, sur une tablette numérique, mais elle n’y jette alors que des regards furtifs, maintenant toujours le contact visuel avec le public.
Lors des saluts, la proximité entre ces trois interprètes saute aux yeux. En lui confiant le choix de la programmation, William Christie participe au développement artistique de Lea Desandre, comme il l’a fait et le fait toujours avec de nombreux autres artistes. Sans doute cela explique-t-il en partie l’accumulation de talents rassemblés au fil des journées de marathon musical de son Festival. Le public se lève d’un bond pour remercier les interprètes et notamment une Lea Desandre émue aux larmes.
Puis, le calme revient pour le traditionnel concert méditatif du soir, cette fois mené par le violoniste Théotime Langlois de Swarte qui explore des œuvres de Purcell, Nicola Metteis et Nicola Matteis Junior avec une fascinante et enivrante virtuosité. Si l’œil ne voit que lui, l’oreille croirait entendre un ensemble tant il parvient à juxtaposer des sonorités diverses. Respectant le concept de ces concerts de fin de soirée, il quitte la scène après 20 minutes de musique, sans un bruit et sans un salut.