Siegfried à Bayreuth, le colt et l'épée
Ce troisième épisode (deuxième journée du Ring) s’intéresse aux péripéties du héros Siegfried que Valentin Schwarz montre en train de vider des bouteilles d'alcool et consulter des revues érotiques, pour en surligner la dégaine très peu policée, fruit de l'éducation défaillante de Mime. Celui-ci loge dans ce qui servait au préalable de logement à Hunding et Sieglinde (sans expliquer pourquoi). Il organise au milieu de marionnettes, une pathétique fête d'anniversaire pour son encombrant adolescent qui le paie en retour d'une terrible maltraitance. La scène de la forge cède la place à un tour de passe-passe au terme duquel Notung finit par apparaître, dissimulée telle une canne-épée dans la béquille de Mime. Fafner est un vieillard agonisant et foudroyé par une crise cardiaque, veillé par l'Oiseau de la forêt en infirmière, et le jeune Hagen (joué par un figurant et dont il faut comprendre qu’il était cet enfant, "Or du Rhin" enlevé dans le Prologue). Ce n'est pas Brünnhilde emmaillotée dans des bandelettes de momie et sortant d'une immense pyramide qui lève le doute sur la logique du dernier acte, si bien que le public se concentre visiblement sur la distribution vocale et la direction musicale pour trouver matière à applaudir.
Dans le rôle du Wanderer, traité scéniquement sans distinction avec Wotan, Tomasz Konieczny poursuit les options sur lesquelles il avait bâti son succès lors de la journée précédente. La voix offre un volume et un relief d'une dimension appréciable, avec des raucités dans le timbre qui traduisent le tourment intérieur de celui qui perd la main et abandonne le pouvoir.
Son affrontement avec Olafur Sigurdarson en Alberich donne au public l'occasion d'un des plus beaux moments de la soirée, tant le baryton islandais contrôle l'émission et la couleur, jusque dans les plis et replis des syllabes. Il confère au phrasé une dureté volontaire à laquelle répond également la belle ampleur du Fafner de Wilhelm Schwinghammer dont la faiblesse physique du personnage qu'il joue sur scène est aux antipodes de la santé insolente d'une voix projetée avec densité sur toute l'ampleur du registre.
Particulièrement brillante et convaincue dans le rôle d’Erda, Okka von der Damerau multiplie les nuances et les qualités d'une ligne qui semble résister à toutes les épreuves et qui tend irrésistiblement vers l’abondance des moyens. Seul le Mime instable d'Arnold Bezuyen laisse sur sa fin, truquant ses phrases en usant et abusant d'une palette de gestes vocaux pour dissimuler des irrégularités dans l'aigu et l'extrême grave.
Déjà présente pour la Tétralogie mise en scène par Frank Castorf, Alexandra Steiner revient à Bayreuth en oiseau de la forêt de petite forme vocale et peu mise en valeur par les options scéniques. Écourtant ses aigus et jouant d'une ligne vocale étriquée, elle peine à adoucir des répliques dont l'oreille ne retient que le pépiement métallique.
Remplaçant pour un soir la Brünnhilde d'Irene Theorin, la soprano Daniela Köhler se montre particulièrement efficace dans la brillance et la longueur des aigus qu'elle darde sans effort perceptible. La solidité de la ligne se délite parfois au fil du très sollicitant duo, laissant à découvert un registre grave parfois prudent et sous-proportionné mais dans l'ensemble, elle répond de belle manière à la puissance tellurique du Siegfried d'Andreas Schager.
Le ténor est certain de l'emporter dès ses premiers pas sur scène, puisant ouvertement dans les ressources d'un instrument qu’il veut faire résister à tout (si ce n'est quelques scories dans l'émission qui l'obligent à transposer à l'octave la toute fin du premier acte). La projection est impressionnante mais un rien monolithique et d'une froideur d'émotion qui ne pourra séduire que les tenants d'un Siegfried uniformément et même musculairement héroïque.
Pour la première fois depuis le début de ce Ring, Cornelius Meister semble avoir trouvé la clé dramatique qui relie fosse et plateau. L'engagement et la véhémence des cordes répond à la brillance des vents et la ligne générale va dans le sens d'une lecture énergique qui proportionne la partition au service de l'action. La narration se fait ici musicale, répondant aux faiblesses de la scénographie par un discours sonore qui compense la confusion des idées théâtrales.