La Walkyrie à Bayreuth, Misères de la vie conjugale
Dans l'épisode précédent de cette Tétralogie (repensée comme une série télé/streaming par le metteur en scène), les spectateurs avaient laissé la famille Wotan en plein conflit, La Walkyrie explore désormais des tensions internes qui agitent les couples Wotan-Fricka ou Sieglinde-Hunding. Sans se départir d'une complexité dont l'esthétique relève des péripéties des soap-movies, Valentin Schwarz ne clarifie pas davantage des questionnements et incohérences dans ses options : comme (par exemple) l'interprétation à tirer de cette tempête qui déracine l'arbre dans lequel le livret a placé Notung mais que la mise en scène a fait disparaître au profit d'un banal révolver dissimulé sous une pyramide symbolisant la toute-puissance de Wotan.
De la même manière, Sieglinde est enceinte de Hunding au moment où le rideau se lève et l'intervention de Siegmund à l'Acte II met fin à sa tentative d'avorter de cet enfant non-désiré… qui deviendra plus tard Siegfried. Une dernière scène dite des "adieux de Wotan" est transformée ici en adieux à Fricka où Wotan abandonne son alliance dans le verre de vin qu'elle lui tend, le tout pour terminer sur l'image (pénible) de ces Walkyries privées de l'éternelle jeunesse par le suicide de Freia qui leur fournissait les pommes d'immortalité, et qui ont recours à la chirurgie esthétique pour tenter de séduire les mâles héros.
Le plateau relève en grande partie les enjeux de la partition (et même de fait de la dramaturgie), à commencer par Georg Zeppenfeld dont l'intelligence de chant confère à Hunding un caractère dont la noirceur du timbre affleure sans exagération, par la seule force de la projection, préférant jouer sur une palette qui donne le sentiment d'un personnage prisonnier de ses tensions intérieures.
Prenant à revers les tenants d'un Siegmund athlétique, Klaus Florian Vogt séduit durablement avec son interprétation qui brille par la netteté de l'expression et un phrasé puisant ouvertement dans l'art du Lied. Point d'histrionisme pour réussir le périlleux "Ein Schwert verhieß mir der vater" (une épée promise par mon père), la ligne se déploie d'un bout à l'autre des registres avec une élégance et une ampleur remarquées, avec deux Wälse! parfaitement tenus et calibrés par un vibrato sans faille.
La Sieglinde de Lise Davidsen fait revivre les mânes de ses illustres aînées sur la Colline. La ligne et le souffle semblent infinis, enrichis par une faculté de tout premier plan à nourrir les notes par la couleur naturelle du timbre (O hehrstes Wunder! - Ô Sainte Merveille !).
Tomasz Konieczny se joue des difficultés, empoignant le rôle de Wotan à bras-le-corps pour faire oublier par l'engagement et la surface vocale, une rusticité de timbre parfois un peu disgracieuse. Sa façon de lancer "Loge, Hör! Lausche Hierher!" traduit l'endurance et la manière presque héroïque avec laquelle il triomphe in fine.
La Fricka de Christa Mayer confirme les bonnes impressions de la veille, laissant percer l'ironie et le mordant dans son affrontement avec Wotan en détachant chaque syllabe de ses répliques pour en faire saisir tout le fiel. Irene Theorin n'a hélas plus l'ampleur et l'énergie de ses anciennes Brünnhilde, préférant à de nombreuses reprises s'économiser pour s'assurer d'arriver à bon port. Elle décoche ses premiers Hojotoho! en dissimulant en sotto voce l'érosion du registre grave, limitant ses coups de griffes dans le dernier acte à une vocalité assez raide et sans couleurs.
Peu cohérentes et souvent aux limites du cri, les Walkyries doivent leur salut aux prestations de Daniela Köhler (Helmwige) et Stephanie Müther (Waltraute) qui luttent vocalement pour maintenir la précision des accents et protéger l'ensemble de la trémulation des vibratos de Katie Stevenson (Rossweisse) et Marie Henriette Reinhold (Grimgerde).
Le public fait une ovation aux chanteurs et à la direction musicale de Cornelius Meister. Le chef allemand retrouve ses marques dans une partition qui fait la part belle à l'énergie et à l'urgence dramatique. La battue est ici nettement plus cohérente et fluide, notamment à l'acte II, mais la profondeur de champ se limite au minimum quand les dialogues virent à l'affrontement psychologique, réduisant la voilure alors même que la partition cherche à s'embraser comme dans cette ultime scène entre Wotan et Fricka, laissée béante et pratiquement sans émotion.