La fiesta latina en demi-teinte de Javier Camarena au Teatro Colón
Pour son grand soir en soliste, le ténor se présente sur scène accompagné par le pianiste cubain Ángel Rodríguez et la jeune soprano chilienne Alyson Rosales, invitée par le maître de cérémonie, Javier Camarena lui-même. Le ténor, d’allure et d’humeur décontractées, est tout à fait enclin à communiquer avec un public hispanophone bavard et curieux à son égard. Le dialogue avec le public, sans fard ni distance, est propice à la fête.
Une programmation sur mesure
Ce récital de Javier Camarena, programmé à la hâte (il ne figurait pas dans le cycle de Grands interprètes internationaux initialement prévu), est un peu le prélude à sa participation à L’Elisir d’amore de Donizetti qu’il chantera dans quelques jours, sur la même scène, dans le rôle de Nemorino où il est très attendu aux côtés de la soprano Nadine Sierra (Adina).
Le programme est dédié à l’opéra italien et français du XIXe siècle. Sa cohérence chronologique et esthétique, qui fait passer du bel-canto au romantisme, puis d’œuvres italiennes (Bellini, Donizetti, Verdi) au répertoire français (Lalo, Massenet, Gounod, Bizet) ou d’inspiration française (La Bohème), est limpide et alléchante, connaissant les domaines de prédilection de Javier Camarena et leurs évolutions, qui suivent précisément les lignes de cette programmation. En dehors d’une pratique satisfaisante de l’italien, sa sélection d’airs français est d’ailleurs de nature à confirmer sa maîtrise de la prononciation de notre langue, à quelques petits défauts près (les voyelles nasales sont confondues, notamment sur « Je suis seul, seul enfin » extrait de Manon de Massenet, où « enfant » se fait entendre à la place d’« enfin »).
Voix soliste, voix invitée
Préparant ce récital en même temps qu’il répète l’œuvre de Donizetti, Javier Camarena présente une voix qui semble en retrait, fatiguée et comme ternie, pauvre en harmoniques et surtout non conforme à ses performances habituelles. Si le charme opère concernant le timbre, toujours agréable et latin dans son caractère, il faut attendre le troisième titre (« Spirto gentil », La Favorite) pour entendre des médiums réellement pleins et chauds. C’est toutefois le registre des aigus qui est d’entrée le plus problématique sur les deux premiers airs extraits d'I Capuleti e i Montecchi de Bellini. Les notes les plus hautes ne sont souvent atteintes qu’avec difficulté, le caractère un peu poussif des projections vers les fréquences les plus élevées rendant les vocalises moins souples et moins spontanées. Chemin vocal faisant, ces défauts d’émission s’estompent au fur et à mesure du programme pour laisser place à une couleur vocale plus suave et à des projections plus fluides, en particulier lorsque le ténor exprime son art en français où sont sollicitées d’autres fréquences. Les airs interprétés en français trouvent toutefois rarement leur poésie propre relativement à l’esthétique qui est censée les porter, l’approximation étant plus souvent la règle que la rigueur et la précision du point de vue du style déployé.
Pas de fête sans invités. C’est la soprano Alyson Rosales qui occupe cette fonction sur scène en dévoilant une voix haute et satinée, soutenue par un vibrato léger et discret assez élégant. Cette belle voix serpentine, tantôt maligne, tantôt ingénue, est capable de pianissimi soyeux. Les aigus sont tenus avec facilité (sauf sur « Dieu ! Quel frisson », extrait de Roméo et Juliette de Gounod) et stabilité. Le timbre se marie enfin agréablement avec celui de Javier Camarena dans le duo « Parigi, o cara », extrait de La Traviata.
Les trois artistes de ce récital, emmené par un pianiste accompagnateur techniquement brillant mais peut-être trop à l’écoute de lui-même dans ce genre d’exercice, emporte l’adhésion d’un public plus sensible au spectaculaire de Javier Camarena qu’à son art vocal. Les bis, offrant un pot pourri latino où la chanson mexicaine, le boléro et le tango retrouvent leurs lettres de noblesse, le flattent et placent les auditeurs qui le composent dans une zone de confort d’écoute. Avant même L'Élixir d'amour, la fiesta peut se poursuivre après ce récital, avec Javier Camarena et Nadine Sierra pour les mécènes autour d'un riche repas de gala au Salon doré, situé au 1er étage du théâtre, suscitant commentaires et polémiques dans les travées du Colón, à la sortie du théâtre et sur les réseaux sociaux.