Nabucco de Verdi, Va pensiero de Madrid à Peralada
Hadrian de Rufus Wainwright a fait la veille le voyage juilletiste de Madrid à Peralada avec les photographies de Robert Mapplethorpe (notre compte-rendu), c'est désormais au tour du Nabucco de Verdi de venir avec les phalanges madrilènes : chœurs, orchestre, chef et une des distributions, renforcée par Mario Rojas et George Pétean. Celui-ci interprète –et même incarne dans cette version concertante– le rôle-titre d'une voix ronde et imposante qui dépasse naturellement l’orchestre. Son timbre velouté est mis au service de l'expressivité des piani et des aigus bien soutenus et timbrés. Son interprétation vaillante et puissante dégage une grande assurance sur scène.
Le ténor mexicain Mario Rojas prête à Ismaël (neveu du roi des Hébreux et amoureux de Fenena) sa voix ronde, mielleuse et expressive. Son interprétation est volontairement juvénile et investie dès la timidité initiale et dans une implication déployée au fur et à mesure. Son timbre cuivré est lyrique, son phrasé hypnotisant, mais il a tendance à se fondre dans la masse des ensembles, au vu de la puissance vocale de ses voisins.
Anna Pirozzi interprète Abigaille avec un brio qui impressionne le public tout au long de l’opéra grâce à la précision d'une voix très puissante. Elle ressort aisément dans les ensembles avec des aigus éblouissants, sans perdre la richesse de son timbre qui reste impassible grâce à l'agilité de ses nombreux et grands sauts d’intervalles. L'implication vocale jusques et y compris dans les aigus piano, sert autant l'implication dramaturgique et l'incarnation.
La mezzo espagnole Silvia Tro Santafé tient le rôle de Fenena (fille de Nabucco et amoureuse d’Ismaël) d'une voix solide, avec un vibrato très présent et un grand sens du dramatisme. Zaccaria, le Grand Prêtre de Jérusalem, est interprété avec continuité et cohérence par la voix sombre (mais sans excès) d'Alexander Vinogradov. La projection est élégante, le phrasé exquis mais les aigus sont étouffés par les interventions du chœur. La basse Simon Lim tient le rôle du Grand Prêtre de Belos à Babylone (qu'il interprétait en alternant avec celui de Zaccaria à Madrid). Sa voix ferme, puissante et charnue impressionne le public avec des médiums et des graves rutilants, rehaussant d'autant l'imposante présence scénique de ses interventions. Malgré leurs courtes interventions, le ténor Fabián Lara et la soprano Maribel Ortega font belle impression en Abdallo et Anna : le premier, grâce à une voix ronde, de caractère et d'une bonne puissance, la deuxième grâce à un timbre délicat et à des aigus très sonores qui se font entendre pendant les ensembles.
Le Chœur du Teatro Real de Madrid revient après l’opéra de la veille, prendre pleinement la place musicale du peuple épris de liberté dans Nabucco. Les voix débordent d’expressivité, de subtilité et de force dans l'interprétation. Le fameux "Va pensiero" exécuté avec émotion et précision soulève l’ovation du public, après la note finale que le chef Nicola Luisotti fait durer plusieurs secondes, comme un murmure. La battue du chef est très précise et vibrante, soutenant dès l’ouverture l'élégance sonore de l'Orchestre madrilène, sa grâce et sa parfaite maîtrise, déployant ainsi un son chaud et en totale adéquation avec la puissance des voix, tant celles des solistes que celles du chœur.
Le public salue les artistes avec un grand enthousiasme, inondant d'applaudissements l’auditorium des jardins du Castell de Peralada, sept longues minutes durant.