L'Amour d'Hadrien par Rufus Wainwright et Robert Mapplethorpe au Festival Castell de Peralada
Le livret de Daniel MacIvor s’inspire de la vie et de la folie amoureuse de l’Empereur romain Hadrien envers Antinoüs mystérieusement décédé. L’opéra est ici présenté dans une version semi-scénique, les chanteurs restant principalement derrière leur pupitre mais surtout devant des photographies de Robert Mapplethorpe. Les images projetées tout au long de la soirée représentent les emblèmes indissociables de cet artiste (hommes, nus et fleurs) avec l'esthétique cohérente de cet univers mais sans lien évident ni même apparent avec l’opéra ici interprété (d’autant que ces images sont accompagnées de mots du livret mais dans le désordre et/ou en décalage avec le chant). L’impression esthétique dissociée n’en est pas moindre, d’une part avec les images, d’autre part avec la musique très touchante de Rufus Wainwright (notamment des passages touchant droit au cœur, comme l’aria de Sabina ou le saisissant finale du chœur).
La riche distribution présente des artistes de renom. Le baryton Thomas Hampson reprend le rôle-titre dont il fut le créateur et s’y impose à nouveau avec grande allure et grande voix. La projection distingue son timbre avec des médiums assurés et des aigus vaillants. Cependant, quelques signes dénotent une légère fatigue, surtout dans les graves. Son interprétation sur scène n’en demeure pas moins confiante, très expressive et passionnée lorsque la scène le requiert (culminant sur le baiser avec Antinoüs).
Dans le rôle d’Antinoüs, l’amant d’Hadrien, le ténor argentin Santiago Ballerini projette un timbre cuivré avec une intensité sonore visiblement sans effort. Ses aigus puissants lui permettent (autant que les médiums pour Thomas Hampson) de ressortir en ensemble, même face à la masse sonore orchestrale. Lui aussi tire pleinement parti d’une version semi-scénique, jusqu’à faire penser que la froideur de son expression faciale et corporelle puisse être calculée.
La mezzo-soprano Alexandra Urquiola interprète Plotina, mère adoptive d’Hadrian, en déployant dès sa première intervention la maîtrise d’une voix large et très agile. En plus d’une grande projection, son timbre riche et chaud nourrit une ligne de chant racée. Cependant et malgré son volume honorable, elle est parfois couverte par l’orchestre. Le baryton Christian Federici prête l’élégance de sa voix et de son port à Turbo (ami de l'Empereur et chef de la garde prétorienne). Sa voix chaude et caverneuse traduit l’assurance de son personnage et inspire le respect.
La plus grande ovation de la soirée est réservée à la soprano Vanessa Goikoetxea, qui interprète l’épouse d’Hadrien, Sabina. Sa voix luisante est bien soutenue dans des aigus brillants, ornés avec agilité et raffinement.
Les ténors Alejandro del Cerro et Vicenç Esteve (interprétant Trajan et Fabius) se montrent très impliqués dans leurs rôles. Le premier d’une voix claire et forte, perçante et au souffle long, le deuxième avec un joli timbre clair mais aux aigus demeurant discrets. Le baryton Gregory Dahl (qui faisait lui aussi partie de la distribution ayant créé l’ouvrage à Toronto en 2018) incarne à nouveau Hermogène dans une démonstration de confiance vocale et de connaissance du rôle. Les trois sénateurs, Pablo García-López, Josep-Ramón Olivé et David Lagares se donnent aussi pleinement dans leurs rôles et apportent discrètement leur grain de sel au développement de l’histoire ainsi que de l’harmonie (le premier ressortant davantage par la brillance de sa voix). La soprano Berna Perles, en Lavia, montre une voix un peu en retrait, mais avec un joli vibrato très marqué. Albert Casals est un Dinarchus à la voix claire, mais qui a du mal à dépasser l’orchestre et avec des aigus un peu serrés.
La battue du chef Scott Dunn est puissante, passionnée et très musicale : trop même tant le volume de l’Orchestre du Teatro Real de Madrid empêche parfois le public d’entendre les voix de plusieurs chanteurs. La densité sonore est très intense mais avec grande précision et sensibilité, tout comme le Chœur de la maison lyrique madrilène, qui se montre à la fois très précis et débordant de dramatisme.
Le public exprime toute son appréciation envers l’œuvre et remercie les artistes par de longues minutes d’applaudissements.