La Belle Meunière au pays des cigales avec Julian Prégardien au Festival Peralada
Comme le titre sur le programme (« La Bella Molinera ») le laissait supposer, il s’agit d’une adaptation en langue catalane du célèbre cycle de Lieder de Franz Schubert, "Die schöne Müllerin", basé sur les poèmes de Wilhelm Müller. L’œuvre toutefois n’a pas été traduite en intégralité. Seul le premier morceau « Das Wandern » (« El Caminar » Le Voyage), ainsi que le second couplet de « Mein! » (« Meva! » Mienne) sont interprétés en catalan par Julian Prégardien, dans une traduction chantante d’Enric Casasses. Également en catalan, le prologue et l’épilogue du poème (non mis en musique par Schubert) sont lus par l’actrice Maria Molins. Enfin, les morceaux chantés alternent avec des interventions parlées de Francesc Torrent, pour expliquer l’intrigue, les thématiques et l’évolution psychologique du protagoniste.
Mais ce n'est pas la seule originalité de cette production. La parcours thématique de l'œuvre se retrouve littéralement dans la composition de la soirée. La première partie, plus idyllique, faisant la part belle à l’évocation de la nature, se déroule dans les jardins du vignoble, accompagnée par les chants des cigales, et par la guitare d’Isolde Santana. La seconde partie, plus brève mais également plus sombre, qui voit la jalousie et la tristesse dévorer l’âme du pauvre meunier, se tient dans l’église del Carme, cette fois avec le piano d’Anna Gebhardt. Les deux instrumentistes livrent des performances très abouties. Isolde Santana se distingue par son jeu agile et nuancé. Elle sait introduire les morceaux avec un art certain de la mise en place. Le ton est donné, le décor est planté. L’accompagnement chaloupé donne ensuite un ton de balade, assez naturel, à des morceaux tels que « Danksagung an den Bach » (Remerciements au ruisseau). Dans la seconde partie, cependant, le piano s’impose comme instrument romantique par excellence. Anna Gebhardt ne se prive ni de rubato (souplesse rythmique) lyrique, ni de ritenuto (retenu) sur ses derniers accords. Elle fait ressortir l'ostinato (rythme obstiné) aigu et douloureux dans Die liebe Farbe (La couleur aimée), qui sera même répété sur un pianissimo feutré tout au long de l’intervention parlée qui suit. Francesc Torrent explique, en catalan, que cette note répétée évoque la mort.
Les conditions en plein air, durant la première partie du concert, imposent à Julian Prégardien le port d’un micro. Par son timbre serré et lumineux et son sens de la nuance, il montre toutes les qualités du ténor de Lied, alternant le médium de poitrine, l’aigu à fleur de voix, et ajoutant volontiers quelques fioritures. Il montre par ailleurs de la verve et de l’éclat sur les passages plus emportés. Investi dans son jeu et toujours juste dans ses intentions, il se déplace, utilise les accessoires mis à sa disposition (un bouquet de fleurs, un livre). Durant la seconde partie du concert, l’acoustique de l’église lui permet de projeter davantage sa voix. Il ne s’en prive pas, conférant à la jalousie du meunier des accents presque opératiques. Tout au long du concert, il démontre sa maîtrise de l’œuvre. Le plus difficile pour lui aura peut-être été de chanter en catalan (il doit s’aider d’un livret).
À cause des températures caniculaires, le spectacle initialement prévu à 19h00 aura dû être décalé d’une demi-heure. Heureusement, avec le soir, la fraîcheur revient et le public peut apprécier à son aise la musique de Schubert et le vin de Peralada.