Puisque c’est comme ça, je vais faire un opéra toute seule au Festival Opéra des Landes
Lassée par les injonctions familiales, Anja, décide de s’enfermer dans sa chambre pour composer un opéra. C’est le début d’un voyage imaginaire, sur fond de contes slaves et de féminisme, pour cette adolescente qui s’autorise un rêve : être la plus grande compositrice d’opéra de tous les temps.
Le spectacle commence par un constat amer de la jeune Anja Karinskaya, incarnée par Anaïs de Faria : il n’y a pas de femmes compositrices d’opéra. Ou bien, s’il y en a, personne ne les connaît (fors nos lecteurs). Autre constat fait par la jeune fille : si tous les hommes de sa famille sont des musiciens reconnus, jouant dans de grandes institutions, elle et sa mère n’ont jamais été encouragées à créer, ni à se produire autre part que dans leur salon. Pourtant, elle déborde d’envie, d’idées et de colère. Elle s’empare alors d’un porte-voix, enfile une cagoule et lance le message véhément : « puisque c’est comme ça, je vais faire un opéra toute seule ! »
Elle s’invente alors un surnom : « Anja la tempête » et part à l’aventure, à la recherche de l’inspiration. Son voyage reste cantonné aux murs de sa chambre, espace ouvert sur la scène, délimité par des accessoires : un fauteuil, un coffre à jouets, un trépied de micro, dans le fond de scène, un large portant avec des rideaux. Ce dernier élément, dont les rideaux s’écartent au fur et à mesure de la pièce, révèle plusieurs décors, marquant ainsi les chapitres du voyage. Anja rencontre plusieurs obstacles, à commencer par ses propres parents, invisibles, incarnés par des voix cacophoniques, hurlées à travers un haut-parleur hors du plateau. Anja leur tient tête : première occasion pour la chanteuse de déployer sa voix lyrique sur un aigu à pleine puissance. Viendront ensuite des éléments du folklore slave, dont bien sûr la célèbre sorcière Baba Yaga (sans trop en dévoiler…).
Ce spectacle de Claire Diterzi est aussi le voyage du bruit concret et discordant vers la musique et l’opéra. Entre les mains d’Anja, tout devient matériau poétique. Artiste aux multiples talents, Anaïs de Faria sait admirable exprimer cette fièvre débridée de la création. Sur cette scène qu’elle connaît bien (elle y a fait ses débuts en Barberine des Noces de Figaro avant d'y revenir plusieurs fois), elle est tour à tour actrice, chanteuse, esquissant même quelques mouvements de danse, jouant également de la flûte traversière et grattant quelques accords de balalaïka. Selon toute vraisemblance, c’est également sa voix qui compose la bande-son lorsqu’elle écrit l’intrigue de son opéra : voix de conteuse, murmurée, mystérieuse, avec un accent slave qui amuse le public.
La musique de Claire Diterzi évoque l’univers de l’épopée, avec de grands accents héroïques, une cavalcade d’orchestre d’où émerge le son stridulant d’une guitare électrique. À d’autres moments, c’est la passion réfrénée et la violence de la rébellion adolescente d’Anja qui semblent être exprimées. La voix d’Anaïs de Faria lui prête ses aigus fulgurants, émis avec facilité, d’une voix pleine. L’articulation est soignée, les vocalises ciselées et riches en harmoniques.
Le moment le plus captivant pour le public est celui du morceau composé en direct pour douze voix d’oiseaux. L’artiste l’enregistre elle-même sur un magnéto, voix par voix, alternant le chant, les sons onomatopéiques, la flûte traversière, pour finir par une comptine enfantine que chacun reconnaît aussitôt : « dans la forêt lointaine, on entend le coucou ». Il en résulte un tapis sonore ample et luxuriant, qu’elle laisse se dérouler. Pendant ce temps, elle enfile un T-shirt noir, sur lequel le public complice peut lire le slogan féministe : « F…ck Patriarcat », et fixe le dernier rideau sur le portant. Il représente une porte par où Anja pourra s’enfuir et continuer sa route.
Parmi le public, beaucoup semblent connaître Anaïs de Faria et vantent sa carrière en pleine ascension. Quelques personnes regrettent que le spectacle soit si court (45 minutes en tout). Il aura cependant rempli la salle d'enthousiasme, d'applaudissements ainsi que sa double mission : inspirer les enfants et faire réfléchir les adultes.