Les Contes d’Hoffmann contre vents et marée au Festival Opéra des Landes
Les aléas de la pandémie de Covid-19 ne sont pas encore de l’histoire ancienne. Pour preuve, cette XXIe édition du Festival Opéra des Landes mise en difficulté. Plusieurs cas s’étant déclarés au sein de l’orchestre, la première prévue le 18 juillet a dû être annulée. L’intervention au pied-levé de la pianiste et cheffe de chant Valeriya Kucherenko, diplômée de l’École Normale Supérieure de Musique de Paris, a permis de maintenir la production à flots sur les dates suivantes. À cela vient s’ajouter la menace de coupures de courant, récurrentes à Soustons. Face à tant de ces incertitudes et à la tension de l’équipe artistique au moment d’aborder cette première des Contes d’Hoffmann le soir du 20 juillet, tout n’est pas parfait, mais la performance en paraît d’autant plus probante et ravit le public.
Dès les premières mesures, le piano emplit la salle. Le jeu de Valeriya Kucherenko est vif, rebondissant, rivalisant de virtuosité et de nuances qui imitent l’ampleur d’un orchestre. Sur la chanson d’Olympia et la Barcarolle, elle est secondée par la harpe de Renaud Girord aux accents cristallins. Les choristes préparés par Olivier Tousis entament leur partie, bien en place, avec du volume sonore, un texte bien articulé, une symbiose entre les voix de femme et de solides pupitres de ténors et de basses. Le public est immergé dans la mise en scène sobre et éloquente, également due à Olivier Tousis, par ailleurs Directeur artistique du Festival. Les décors de Kristof T’siolle montrent, sous les lumières gérées par Frédéric Warmulla, le comptoir d’une buvette et dans un coin de la scène un énorme tonneau percé d’une porte. C’est par là qu’entreront tous les éléments fantastiques de l’opéra : la Muse, mais aussi l’apparition fantomatique de la mère d’Antonia, pour mieux semer le doute : ce qui se manifeste à nos yeux ne serait-il pas le fruit des délires éthyliques d’Hoffmann ? Au centre, deux larges divans et des fauteuils sont réagencés à chaque acte, de sorte à créer de nouvelles configurations scéniques à partir d’éléments constants. Après tout, ces trois contes sont une seule et même histoire.
Les costumes signés Rouge Juliette, auxquels s’assortit le maquillage de Coline Bourdère, ancrent l’action à la fin du XIXe siècle. Dans cet ensemble aux tonalités sombres, Hoffmann tranche par son habit blanc, couleur qui lui donne l’allure d’un jeune premier innocent ou d’un spectre – libre à chacun d’en décider. Le ténor Avi Klemberg lui prête sa voix au timbre cuivré. Ses phrasés sont conduits avec élégance, épousant les nuances sans bouger de son vibrato serré et lumineux, mâtiné d’harmoniques de poitrine. Il montre une grande amplitude vocale, perchant plusieurs fois des si naturels projetés avec un aplomb héroïque.
À ses côtés, la soprano Jiyoung Kim s’illustre dans les trois grands rôles féminins de l’opéra. Dotée d’une panoplie vocale très complète, vocalisant avec facilité jusqu’au suraigu, elle exécute sans peine les couplets de la poupée mécanique Olympia. Dans le médium grave, son timbre déploie une suavité capiteuse qui sied à ravir à la sensuelle Giulietta. Enfin, elle met toute sa sensibilité et sa longueur de phrasé au service du rôle d’Antonia, qu’elle interprète d’une voix pure et nette.
Dans le rôle des quatre diables (Lindorf, Coppelius, Miracle, Dappertutto), le public retrouve un habitué du Festival : Kristian Paul, baryton à la voix puissante, riche en harmoniques. Sa stature imposante, sa projection détonante et sa prononciation soignée concourent à son charisme. Il confère à ses personnages un ton sardonique et carnassier. Son aigu rugi à pleine voix à la fin de l’air « Scintille diamant » tient toute la salle en haleine.
Très saluée aussi par le public, la mezzo-soprano Catalina Skinner incarne Nicklausse et la Muse. Sa voix est chaleureuse et veloutée, son phrasé long et agile, son timbre rond relevé d’un grain de piquant juvénile. Elle couvre élégamment ses aigus. Douée par ailleurs d’une belle présence scénique, elle campe un personnage espiègle, primesautier et attachant, avec une gestuelle qui rappelle Charlie Chaplin.
Richard Delestre met sa double casquette de chanteur et d’acteur de théâtre au service des rôles d’Andrès, Spalanzani, Frantz et Pitichinaccio. Doué d’un talent comique manifeste, il possède aussi une voix de ténor bien placée et projetée, servie par une diction précise.
Marc Souchet incarne Luther, Crespel et Schlémil avec autorité grâce à une voix puissante et chaude, au lustre sombre de baryton verdien, qui confère du relief à ces personnages secondaires.
Maela Vergnes prête à la mère d’Antonia sa voix de mezzo-soprano, large, glaçante lors de son apparition sur scène. Le ténor Andoni Iturriria fait ses débuts le rôle de Cochenille, serviteur mécanique de Spalanzani, auquel il prête une voix fraîche, bien timbrée, solide sur son contre-ut en falsetto – conformément à la partition. L'autre étudiant, Hermann est chanté par Fabio Sitzia, d'une voix de baryton nette et avec une élocution soignée.
Enfin, Camille Humeau assure, conjointement à son rôle d’assistant à la mise en scène, celui de l’étudiant Nathanaël, avec une belle présence scénique et d’une voix de ténor conduite avec mordant.
Malgré quelques incidents techniques, rapidement corrigés, qui perturbent l’affichage des surtitres au troisième acte, cette première décalée mais bien recalée des Contes d’Hoffmann reçoit un accueil très enthousiaste du public, qui applaudit chaleureusement les interprètes vocaux, sans oublier la pianiste.