Tancredi de Rossini brille de tous ses feux aux Hospices de Beaune
Mélodrame héroïque sur un livret de Gaetano Rossi d’après la tragédie éponyme de Voltaire, Tancredi s’impose d’emblée par un découpage efficace en deux actes et un ensemble de solistes (six au total) restreint. La version présentée par Jérémie Rhorer dans le cadre des Hospices de Beaune est celle d’origine avec sa fin au dénouement heureux (lieto fine selon la tradition italienne), avant donc les remaniements ultérieurs apportés par le compositeur notamment pour les reprises de Ferrare avec sa fin tragique ou celle de Milan de décembre 1813 avec un final associant les deux précédents essais. Rossini se cherche encore un peu avant des ouvrages plus aboutis au plan dramatique (Maometto II ou Le Siège de Corinthe), ce sans pour autant délaisser l’opéra bouffe. Mais il introduit dans cet ouvrage des principes nouveaux basés sur la déclamation lyrique et révèle un sens aigu de l’humain et une observation fine des sentiments. Un air surtout fera très rapidement le tour de l’Europe, le fameux « Di tanti palpiti » confié au contralto incarnant le rôle-titre et magnifié ces dernières décennies par Marylin Horne à Aix-en-Provence en 1981, Lucia Valentini-Terrani ou Ewa Podles.
A son entrée en scène, Anna Goryachova surprend dans un premier temps par sa silhouette gracile presque fragile même pour incarner le chevalier Trancredi. Mais la mezzo-soprano russe possède des moyens vocaux assurés et larges, reposant sur un timbre à la fois sombre et moiré, fort attachant. Les aigus s’envolent avec force et facilité. La ligne de chant se déploie avec toute la virtuosité requise et un art de l’ornementation qui révèle une interprète rossinienne de fière allure. De plus, sa composition de Tancredi émeut par sa sincérité et son attachement au personnage de la douce Amenaide, malgré toutes les épreuves traversées par les deux amoureux enfin rassemblés à la fin de l’ouvrage.
La voix de grand soprano lyrique de Sarah Traubel s’épanouit avec art et aisance dans le rôle d’Amenaide, qu’elle ponctue d’aigus ravissants et savants -ceux d’une Reine de la Nuit dont elle fut une brillante titulaire. Blonde et ravissante, elle offre à son personnage une fraicheur toute singulière qui parle d’authenticité. Le ténor Mattheuw Newlin, déjà titulaire du périlleux rôle d’Argirio lors du Tancredi donné à Beaune sous la baguette d’Ottavio Dantone en 2017, a du déclarer forfait étant touché par le covid 19. Venu l’après-midi même du Festival Rossini de Bad Wildbad où il chante Rinaldo dans Armida de Rossini, le ténor Michele Angelini a repris in extremis un rôle qu’il connaît heureusement bien. De plus, il a déjà travaillé à plusieurs reprises avec Jérémie Rohrer. Il ne semble d’ailleurs pas connaître la fatigue. Même si le timbre de la voix ne possède pas un caractère particulier, la projection ferme et pour autant tout emplie de fougue ne peut que séduire l’auditeur. Ténor virtuose, aux ornementations impeccables, à la technique éprouvée, il surjoue tout de même un peu dans l’émission de l’aigu voire du suraigu certes souverains mais un rien démonstratifs, comme détachés de son chant. Les moyens sont considérables, mais le rapport au bel canto pourrait être certainement plus recherché.
La basse Andreas Wolf, ancien du Jardin des Voix de William Christie, dispose d'une voix ronde et chaleureuse, d’une belle puissance, dotée d’un vibrato maîtrisé. Il semble comme tonner et donne tout son caractère au personnage peu amène d’Orbazzano, le promis d’Amenaide qui sera tué au combat par Tancredi. Malgré la relative brièveté du rôle et un seul air à son actif, le ténor français Valentin Thill (Roggiero) se fait remarquer par la plasticité de sa voix lumineuse, son souci de la ligne de chant et son engagement. Dans le rôle d’Isaura, la jeune mezzo-soprano germano-turque Deniz Uzun montre de multiples qualités passant par un timbre plein et coloré, une projection certaine et une sensibilité musicale de qualité.
Le Chœur de Chambre de Namur, ici exclusivement masculin, livre une prestation aboutie. Jérémie Rohrer porte son Orchestre Le Cercle de l’Harmonie avec un sourire permanent aux lèvres et pour autant une autorité assumée. La variation toujours juste des tempi, la beauté du son, l’harmonie globale qui se dégage, mais aussi la générosité et la vigueur imprègnent une direction musicale qui donne pleine satisfaction. L’ouvrage du génial Rossini, Tancredi, malgré ses deux siècles d’existence, se pare d’une seconde jeunesse en cette soirée au sein de la Cour des Hospices de Beaune. Le public se retire ravi de cette soirée marquée par un soir d’été radieux et une musique qui l’est tout autant.