Éclatants débuts de Sondra Radvanovsky en récital au Teatro Colón
Après le passage de Nancy Fabiola Herrera et la mémorable et très récente prestation de Roberto Alagna sur la scène du Colón, c’est au tour de la soprano Sondra Radvanovsky de prendre le relais de ce cycle de Grands interprètes internationaux.
Le programme de la soirée, qui fait honneur à la langue italienne à travers l’Europe et les siècles, est composé en deux parties. La première est une remontée chronologique qui part d’œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles jusqu’à culminer aux airs de Bellini et Verdi, répertoire sur lequel la cantatrice s’est forgé une solide réputation internationale. De quoi dès lors s’étonner que Sondra Radvanovsky entame son récital sur des pièces anciennes très éloignées, dans le temps et le style, des airs avec lesquels elle est aujourd’hui familière sur les scènes du monde entier. Caccini, Gluck, Durante et Haendel lui permettent ainsi de sortir de son répertoire de prédilection… avant même d’y être entrée. Il faut noter le courage de la chanteuse qui, confronté au dysfonctionnement d’une tablette l’empêchant d’avoir les partitions sous les yeux, et prenant avec beaucoup d’humour cette contrainte matérielle inattendue et potentiellement déstabilisante, arpente ce répertoire et l’art de l’ornementation en faisant parler son sang froid et son expérience de la scène, tout en mettant en avant la versatilité d’une voix dont la réputation qui la précédait l’avait peut-être un peu trop tôt cantonnée aux grandes œuvres lyriques de l’Italie du XIXe siècle, du bel canto au vérisme. C’est la fin de la première partie du récital et la deuxième dans sa totalité qui explorent en profondeur cette veine, en s’attaquant à des morceaux de bravoure (dont « Casta diva » de Bellini), dont la difficulté d’exécution n’est plus à démontrer, avec des classiques extraits d’Il Trovatore et de La Forza del destino de Verdi, Manon Lescaut de Puccini, Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea, Andrea Chénier de Giordano ou encore à nouveau Verdi avec trois de ses Sei Romanze.
La signature vocale de Sondra Radvanovsky se singularise par la largeur et l’amplitude de sa voix, couplées à ce timbre si particulier, fait d'une chaleureuse et lumineuse ambroisie vocale, sirupeuse à souhait, très homogène sur toute la tessiture. La soprano fait preuve d’une très grande technicité mise au service d’une expressivité tout en nuances, entre solennité, nostalgie, colère et passion, qui va de la douceur et du velouté des pianissimi à la force de projections qui domptent sans difficulté la profondeur de la grande salle du Colón. Car le souffle est long et les respirations sont savamment gérées. La maîtrise stylistique, nourrie par un phrasé aux subtiles variations sur Bellini, Verdi et Giordano, étonne et charme un public pourtant habitué de ce répertoire. L’articulation de l’italien est ouverte, la prononciation correcte : la compréhension des paroles se fait la plupart du temps sans effort. Si l’escapade baroque est l’occasion de dévoiler des médiums mielleux pleins et ronds, mais aussi un vibrato puissant et des vocalises amples et aériennes, le répertoire verdien confirme le potentiel du volume et un certain sens du drame. La gestuelle est discrète mais précise et juste, l’expression faciale fait mouche. L’adhésion et l’attention du public, malheureusement perturbées par des chutes de téléphones portables et des alertes de notifications, vont croissantes et jusqu’à un enthousiasme débordant.
Piqué par leur curiosité pour cette grande voix qui leur était jusque-là inconnue (autrement qu'en enregistrements ou à l'occasion de voyages), les spectateurs ovationnent l’élégance et l’assurance vocales de Sondra Radvanovsky, tandis que son accompagnateur ou plutôt complice, le pianiste Anthony Manoli, est lui aussi chaleureusement acclamé et remercié d’avoir mis la précision, la délicatesse et la solidité de son jeu au service de la découverte de cette voix d’aujourd’hui.