Quand les chants kurdes rencontrent l’opéra, avec Pervîn Chakar Salle Cortot
Le concert n’est pas encore commencé mais déjà, sur la scène de la Salle Cortot, le piano attend, imposant ; il rencontrera ce soir le duduk, hautbois traditionnel essentiellement arménien et tous deux, ensemble ou à tour de rôle, accompagneront la chanteuse au fil du programme – programme qui, lui aussi, rassemble mélodies françaises, opéra et opérette, mais aussi chansons et airs traditionnels kurdes, ainsi qu’un air arménien et l’autre, assyrien. Un cocktail qui pourrait surprendre mais qui s’enchaîne particulièrement bien, par le choix des morceaux, par la douce présence du piano qui les lie aisément et la voix de la soprano qui, indifféremment, use de sa technique lyrique dans chaque pièce.
La jeune pianiste Juliette Journaux reprend donc chacun de ces morceaux en proposant un jeu doux, appliqué et précis, doté d’une appréciable fluidité et d’une agréable pétulance lors des chansons orientales, lesquelles sont justement arrangées pour son instrument et proposent de longs préambules lui laissant également la part belle. Le duduk d’Arsen Petrosyan n’est pas en reste, bien qu’il soit parfois couvert par le piano – cela n’empêche pas, toutefois, de profiter de la belle tenue du hautbois, à la fois sobre et nuancée et ce notamment dans certains solos, comme dans la pièce du chantre arménien Komitas où son souffle s’élève et embaume la salle d’une mélancolie lointaine. La rencontre entre les deux instruments n’est pas évidente au début, mais finit par s’accorder.
La soprano Pervîn Chakar apparaît sur scène vêtue d’une robe traditionnelle kurde, ici blanche et constellée de perles et pierreries brillantes. Elle entame le concert par une belle adresse au public en langue kurde et s’ensuit l’Ave Maria de Caccini, qui lui permet de faire montre d’emblée d’une voix riche, sensuelle et puissante. C’est le timbre qui frappe d’abord, par la profusion de ses couleurs, explorant une palette aux teintes automnales. Le soprano est rond, profond, d’une agréable clarté et doté de beaux aigus (quoiqu’ils oscillent, une fois ou deux, dans des hauteurs trop élevées). Le chant est également caractérisé par son aisance, remarquable dans certains chants kurdes où soudain, il surgit à pleine voix sous la forme d’une plainte, comme dans le superbe Heyran Jaro (« Mon douloureux amour ») où elle chante ses souffrances et son chagrin, ou s’apaise pour entamer la mélancolique Kelesho.
Îro me bi civateke delal a Parîsê ve şeveke tije û xweş derbas kir. Çepik û dilgermiya wan dilê me xweş serê me bilind kir. Spas bo beşdaran û malbata @institutkurde pic.twitter.com/ByEcZcfbxN
— Pervin Chakar (@PervinChakar) 24 juin 2022
Elle reprend, de même, Les Chemins de l’amour de Poulenc et Je te veux de Satie (un beau succès parmi le public), quoiqu’ici, la diction française soit plus difficile – ce qui n’empêche pas son émotion, qu’elle insuffle par ailleurs dans chaque pièce (quoiqu’avec, parfois, un certain surjeu). L’allemand de « Meine Lippen, sie küssen so heiß » est quasi-impeccable en revanche et la soprano y exécute même une petite danse joyeuse, accompagnée en rythme par le public qui tape dans ses mains – et ainsi recommencera-t-il à la fin du concert, enjoint par la chanteuse à la rejoindre dans les derniers morceaux.
Le public, en effet, est particulièrement enthousiaste, mû d’autant plus par la connivence qu’il partage avec la chanteuse, laquelle s’adresse à lui à la fois en kurde et en anglais, notamment pour le remercier de sa présence ici – et il accueille en retour chaque air d’un tonnerre d’applaudissements, en particulier le triomphal « Meine Lippen sie küßen so heiß » – et pour finir, d’une standing ovation. Enfin s’achève le concert et, sans formalités, chacun peut venir discuter avec les interprètes et les féliciter.
Puis c’est le retour à la nuit – mais brillent encore, dans la pénombre, les lueurs musicales de cette soirée voyageuse.
Les Filles des Cadix by Delibes @institutkurde pic.twitter.com/lZQ963B54Q
— Pervin Chakar (@PervinChakar) 25 juin 2022