Le Stabat Mater de Poulenc Illuminé au Festival de Saint-Denis
Pour célébrer la mémoire de son ami Christian Bérard, Poulenc compose non pas un Requiem mais un Stabat Mater, moins « pompeux » à son goût. C’est également le choix du Festival de Saint-Denis pour son édition 2022, que de programmer des Stabat Mater (Poulenc après Rossini et Pergolèse) dans la Basilique, lieu pourtant davantage associé aux Requiem en tant que nécropole des rois de France.
Poulenc précise que son Stabat Mater était tout d’abord une musique a cappella, l’orchestration ayant été rajoutée ensuite et c’est donc naturellement que Timor et Tremor, le premier des quatre motets pour un temps de pénitence du maître français pour chœur a cappella introduit le Stabat Mater, le tout étant ici introduit dans le décor inspirant pour et par Les Illuminations de Britten (pour orchestre à cordes et soliste) : celui des éclairages colorés du chœur de l’édifice.
Jodie Devos fait des débuts remarqués au sein du Festival en interprétant l’intégralité du programme (Les Illuminations devaient être chantées par la soprano Sophie Karthäuser qui, souffrante, a dû annuler sa participation). Son assurance dans cette partition exigeante de Britten est complète, l’inquiétude palpable avant le démarrage étant vite oubliée tant Jodie Devos projette solidement la phrase emblématique de l’œuvre « J’ai seul la clef de cette parade sauvage ! » Elle porte une attention particulière aux mots et sa voix claire favorise une bonne compréhension des poèmes, quelque peu énigmatiques de Rimbaud. Bien que les quelques notes poitrinées n’atteignent pas les spectateurs, sa présence vocale demeure infaillible dans l’aisance à filer les sons (« et je danse »), à vocaliser (Marine), à émettre les aigus souplement où à s’amuser « Je veux être reine ! »
Dans le Stabat Mater, elle intervient derrière l’orchestre afin d’être au plus près du chœur avec lequel s’instaure un véritable dialogue sur « Vidit suum dulcem natum ». De par cette distance, sa voix parvient lointaine, La Vierge semble avoir rejoint les limbes et sa compassion en demeure ténue.
Bien que le Chœur de l'Orchestre de Paris présente quelques fragilités de justesse dans le motet, il exécute les parties chorales du Stabat Mater avec nuances et précision. Préparé par leurs deux chef(fe)s de chœur Marc Korovitch et Ingrid Roose (en poste depuis janvier 2022), l’ensemble offre un son rayonnant et équilibré, une expressivité touchante à l’évocation de l’affliction de la Vierge et une projection intense pour le sauvage « Quis est homo » (Quel est l’homme qui ne pleurerait s’il voyait la Mère du Christ dans un si grand supplice ?). L'Amen final irradie d’harmoniques à donner le frisson.
Dans cette acoustique réverbérante, les pupitres de cordes placés à l’avant sont favorisés et leur son précis et incisif évoque sans problème la fanfare des Illuminations. Dans le Stabat Mater, le chef Alexandre Bloch n’a de cesse de veiller à l’équilibre sonore de l’ensemble, sans toutefois y parvenir totalement, les vents placés à l’arrière se perdant quelque peu dans l'acoustique de la nef. En sculpteur du son, il indique pourtant toutes les intentions musicales, ses bras suspendus pour la délicatesse, les mains ouvertes demandant plus d’intensité, ses grands bras balayant l’espace pour inviter à un phrasé ample.
Restant visiblement sur sa -bonne- faim (le concert dure 1h15, les événements du Festival de Saint-Denis étant sans entracte), le public fait revenir les artistes à plusieurs reprises afin de les congratuler sous des applaudissements chaleureux.