Le Barbier de Bastille marque les débuts d'Emily D'Angelo
Après une nouvelle production des Noces de Figaro, l'Opéra de Paris revient au premier volet de la trilogie de Beaumarchais, repris dans la mise en scène de Damiano Michieletto (inaugurée à Bastille en 2014). Après une première triomphale, la deuxième distribution marque notamment les débuts maison de la mezzo-soprano Emily D'Angelo, qui enchaînera sur cette même scène de Bastille avec Faust de Gounod par Tobias Kratzer (notre compte-rendu de la première à huis clos l’année dernière).
Michieletto met en scène un quartier populaire dans une Séville contemporaine inspirée de l'architecture méditerranéenne. Ici, la noblesse cède sa place au peuple d’un grand immeuble tournant, multifonctionnel et efficace. Au niveau symbolique, ce "renversement de perspective" montre l’avers et le revers de la nature humaine et de la société en général, que la comédie de Beaumarchais met originairement en lumière. L'intérieur du bâtiment multi-étagé et multicolore répond à la verve comique du récit et de la partition avec le même dynamisme rythmique. Ce dernier est ponctué du moto perpetuo des acteurs sur scène qui arpentent les couloirs et les pièces en courant et en montant les escaliers. Michieletto transpose ainsi la virtuosité musicale sur le plan visuel, dévoilant un immense travail de navigation des chanteurs dans leur mouvement scénique. Cette communion du plateau et de la fosse insuffle une grande vitalité au spectacle, dont le spectateur ne se lasse jamais.
Pour ses premiers pas sur la scène de l'Opéra de Paris, Emily D'Angelo incarne Rosina avec beaucoup de conviction et d'assurance vocale. Son air Una voce poco fa emploie toute l'étendue de son large ambitus, teinté de graves noircis et très solides. La voix est nourrie et souple, ce qui lui permet de traverser les registres avec aisance et en subtilité. La prosodie se tient dans les airs et récitatifs bien que sa présence scénique s'avère moins persuasive par rapport à ses virtuosités vocales.
René Barbera conserve le rôle du Comte Almaviva, illuminant la scène par ses ondes radieuses et chaleureuses. L'élégance de son phrasé belcantiste brille dans toute sa splendeur, associée à un legato soyeux qui renforce le lyrisme de ses airs mélodieux (notamment les sérénades). L'appareil hautement élastique déploie une souveraine maîtrise des passages vocalisés, dans lesquels les voyelles perdent parfois de leur rondeur mais qui, généralement, distinguent son ténor. Il met le feu vocal au finale, manifestant ses qualités techniques (même les suraigus ne perdent jamais de leur précision équilibrée, malgré la fatigue qui commence à se faire ressentir).
Andrzej Filończyk joue lestement le valet rusé Figaro. Il arbore un baryton charnu et habile, appliqué à prononcer avec justesse le rythme galopant des paroles (son fameux air finissant impétueusement). Ce barbier s'appuie sur une sonorité ronde mais d'émission droite, amplement projetée et solidement malléable dans ses passages rapides. Ses duos avec Barbera sont bien cadencés et équilibrés, dans tous leurs aspects.
Le docteur Bartolo est confié aux bons soins du napolitain Carlo Lepore, spécialiste du répertoire rossinien (il débutait d’ailleurs à l’Opéra de Paris dans la série inaugurant cette production déjà avec René Barbera). Son caractère comique entremêle le chanté et le parlé, manquant de rigueur dans sa justesse mais sa ligne se démarque néanmoins par ses couleurs graves, une projection puissante et la longueur du souffle. Son jeu d'acteur appliqué et soutenu par les effets musicaux suscitent les rires (notamment son fausset bien en place).
Le maître de musique Basilio (Alex Esposito) articule savamment son texte et ses mélodies, de sa grande et sombre voix de baryton-basse. Il n'est pas moins bouffon sur scène que son ami Bartolo, avec une intonation volontairement vacillante et comique. Cependant, son instrument s'avère plus rigide que le reste de la distribution.
Dans les petits rôles, Armando Noguera campe Fiorello en jeune du quartier qui ne manque pas de déployer la dextérité vocale de son baryton lumineux, sonore et constamment juste. Katherine Broderick projette son soprano vibrant en Berta, surtout dans les aigus, la voix perçante manquant toutefois d'appui à l'autre extrémité de l'échelle où l'intonation s'avère parfois fragile. Christian Rodrigue Moungoungou est un officier à la voix ample et bien ancrée dans le registre bas.
Roberto Abbado offre une direction assurée ne laissant pas de place pour les (mauvaises) surprises, et affirmant la fosse comme une composante essentielle dans cette symbiose audio-visuelle du spectacle. Bien que les cordes semblent moins précises qu'attendues dans l'ouverture (le chef privilégiant un son plus léger), le jeu est assurément mené tout au long de la soirée en suivant le pas fougueux des solistes virtuoses, le tout adossé à un son des bois bien satiné et mélodieux. Le chœur masculin chante avec énergie et clarté des lignes bien proportionnées.
Le public acclame longtemps et fortement les artistes qui reviennent saluer à plusieurs reprises.