Entre airs baroques et mélodies polonaises : Jakub Józef Orliński acclamé à l’Opéra du Rhin
Si le jeune contre-ténor s’est surtout fait connaître du public au travers des œuvres du répertoire baroque dédiées à sa tessiture, ce dernier prête de plus en plus sa voix à des pages non écrites pour « sopraniste ». Ainsi, le programme de ce récital (donné à l’identique deux semaines plus tôt au Théâtre des Champs-Élysées) est le fruit de ces récentes expériences musicales, où se côtoient des airs baroques quasiment contemporains les uns des autres, tels que Music for a While de Purcell, une cantate de Johann Joseph Fux ou encore l’antienne Amen, Alleluia de Georg Friedrich Haendel, et des mélodies polonaises des XIXè et XXè siècles telles que les Pozegnania (« Adieux ») de Henryk Czyż, cycle de mélodies écrit pour baryton-basse, celles de Mieczysław Karłowicz pour ténor et les mélodies plus connues de Stanisław Moniuszko. Très communicatif, le contre-ténor intervient à plusieurs reprises (en français d’abord puis, très vite, en anglais) pour expliciter tel ou tel trait du programme et précise que ce récital est aussi une occasion de promouvoir ces œuvres méconnues. Celles-ci font également l’objet d’un album intitulé Farewells que le duo vient de sortir le mois-dernier.
Jakub Józef Orliński, dont la popularité grandissante est palpable dans la salle absolument comble (et comblée) du parterre jusqu’aux balcons, opte clairement pour une grande liberté d’interprétation tout au long du récital, et offre ainsi une fraîcheur étonnante aux œuvres. D’abord statique, et presque raide, légèrement de côté, sa posture s’anime au gré des airs, passant d’un état recueilli à celui des mimiques expressives et ce, jusqu’à la danse. Solidement projetée, sa voix se déploie en un legato souple, le timbre pur et concentré peut cependant gagner en contrastes et en profondeur. Avec une diction parfaite, quelle que soit la langue de l’œuvre, il aborde d'une égale intensité l’ensemble des répertoires, bien qu’une aisance toute particulière se décèle dans les airs de Purcell, où chaque syllabe est finement travaillée, et les trilles délicatement tissés. Le contre-ténor choisit de rythmer avec énergie les mélismes et joue sans cesse avec la mélodie, s’attardant à l’envi sur les dissonances, étirant le son, le suspendant pour créer des effets de surprise dans Strike the Viol de Purcell. Les graves, rares mais tout de même présents dans les mélodies polonaises, sont légèrement voilés et surprennent quelque peu l’oreille après la brillance solaire des aigus.
Une grande complicité émane du duo qui parvient à créer une enveloppe sonore saisissante dans les pianissimi. Le pianiste Michał Biel impressionne par la précision de son geste, ses phrasés nets et ses pizzicati très soignés. L’interprétation des airs de Purcell habituellement joués au clavecin demande toute son attention, et afin de soutenir un legato très doux, il se courbe au plus proche du clavier. Néanmoins, les accords du fameux « Air du Froid » n’échappent pas à une sonorité un peu sèche et dure au piano. L’écriture plus dense des mélodies de Czyż offre une plus grande aisance au pianiste qui dévoile un toucher souple et perlé dans les motifs répétitifs.
Tout à fait conquis, le public debout acclame longuement les deux artistes qui prolongent le concert avec quatre bis successifs, dont l’air « Alla gente a Dio diletta » tiré de l’opéra Il Faraone Sommerso de Nicola Fago, et un Strike the Viol virevoltant, où le contre-ténor ne résiste pas à agrémenter l’air d’un enchaînement de break dance avec une figure au sol, faisant jaillir du public moult ovations et exclamations de surprises.