Rencontre avec François Delagoutte, Directeur de La Cité de la Voix et des Rencontres Musicales de Vézelay
François Delagoutte, comment présentez-vous la Cité de la Voix ?
La Cité de la Voix est un Centre national d'Art Vocal : un lieu de création, de diffusion, de formation, un lieu-ressource pour l'art vocal en Bourgogne et Franche-Comté, une région où le chant choral est historiquement très dynamique. À l’origine conçue autour du chœur Arsys Bourgogne, la Cité de la Voix est aujourd’hui un établissement culturel au service des musiciens –ensembles, chanteurs, chefs de chœur, des amateurs et des professionnels de la voix et bien sûr du public pour lui donner le goût de chanter à tous les âges de la vie et plus largement de partager la musique sur le territoire de la région.
Dans son format, son organisation et sa vocation, on peut dire que la Cité de la Voix est un établissement unique en France. C’est tout le sens du travail que j’ai entamé en 2018 via un projet artistique et culturel renouvelé, qui a permis de passer une étape importante dans l’histoire de la maison. En 2022, nous arrivons au terme de cette première étape.
Quelles sont les missions de La Cité de la Voix ?
Nous travaillons autour de quatre grandes missions. La première est le soutien à la création et à la diffusion musicales, en s'appuyant principalement sur le site de Vézelay. D’abord par l’accueil en résidence et l’accompagnement des équipes artistiques : nous ouvrons nos portes chaque année à plus de 250 artistes, entre 35 et 40 équipes artistiques, pour y travailler ou enregistrer leurs projets. L’évolution de la maison ne s’est pas faite à défaut de cet accompagnement à la création, ce qui pouvait être le risque. Bien au contraire, j’ai souhaité que nous puissions l’accentuer, en ouvrant davantage sur les esthétiques et les répertoires représentés mais aussi en s’engageant davantage en coproduction sur des projets que nous portons ensuite dans la saison publique ou à travers la diffusion sur le territoire avec de nombreux lieux et villes partenaires. Tout cela, dans l’esprit d’un véritable compagnonnage. Le premier d’entre eux est bien sûr celui avec l’ensemble associé, Aedes en résidence jusqu’à la fin de l’année 2022.
Parallèlement, j’ai renforcé la saison publique : comme avec le festival « Elles chantent, composent, dirigent » que j’ai créé en 2019 pour mettre en lumière les compositrices, cheffes de chœur et interprètes. Les Rencontres Musicales de Vézelay ont été densifiées, des projets thématiques (Musicals en 2022), pluridisciplinaires, exigeants et populaires mobilisent plus largement les publics et les partenaires de la maison. J’ai souhaité que la Cité de la Voix puisse imprimer une signature artistique plus lisible, plus ouverte, capable de régénérer son rapport aux artistes, au public et au territoire. Je n’ai aucun problème à monter un oratorio de Haendel et en même temps à proposer un loto musical [notre compte-rendu du Bingo musical sur les terrasses de Vézelay avec le Trio Musica Humana], tant que les objectifs sont clairs et que nous sommes exigeants sur le travail et le choix des artistes. Progressivement, j’ai le sentiment que le regard sur la Cité de la Voix change, surtout de la part de celles et ceux qui s’en sentent loin, sans déstabiliser nos habitués : c’est une respiration nécessaire et un impératif démocratique pour un service public de la musique. En quelques mots, Vézelay continue ainsi de s’affirmer comme un incubateur musical incontournable, un prescripteur de projets et un médiateur de la musique pour notre territoire, autant qu’un compagnon de route fidèle pour les musiciens.
Quelle est la deuxième mission que vous travaillez ?
La deuxième mission consiste à développer et démocratiser les pratiques vocales. Derrière ces grands mots, il y a une idée simple à laquelle je crois profondément : c’est par la pratique que l’on accède à la musique. Pour toute mon équipe c’est un véritable engagement. En la matière, nous avons fait des choix sous l’angle de publics prioritaires : d’abord, les enfants et les adolescents. Pour cela, nous avons mis en place les projets « 100 % chorale » sur des cycles de trois années en partenariat avec des villes, l’Éducation Nationale et le Ministère de la Culture. Ces projets visent sur le long terme à faire chanter les classes de CM1 et CM2 toutes les semaines, grâce à des musiciens intervenants, autour d’un projet musical et scénique. Parallèlement, nous assurons la formation par du tutorat personnalisé des enseignants participants afin de leur donner les clefs nécessaires à la conduite d’une pratique vocale collective en classe. Depuis 2020, nous sommes présents sur deux villes : Auxerre et Gray, le projet concerne 14 enseignants et 155 élèves. Nous ajouterons deux autres villes dans les prochaines années. Ces 100% chorale sont des projets complets, les résultats sont exceptionnels sur les élèves participants. C’est une sorte de « Démos choral » à taille humaine à nous en dehors des projets d’éducation artistique et culturelle que nous coordonnons par ailleurs.
Ensuite, notre action de démocratisation touche ainsi, bien entendu, les praticiens amateurs : via principalement la formation des chefs de chœur à Vézelay et sur le territoire, par une offre de stages stylistiques sur des répertoires très variés qui appellent la participation d’artistes et de pédagogues confirmés. La région compte 1.200 chœurs amateurs, c’est la première pratique culturelle de notre région, essentiellement rurale, où chaque semaine les gens se retrouvent pour chanter ensemble. La crise du Covid a profondément fragilisé ce tissu de chanteurs du quotidien. Nous avons dû ainsi prendre des mesures d’urgence pour renforcer notre accompagnement : rémunération des chefs, soutien aux projets de reprise pour décloisonner et redynamiser leurs activités. Nous avons fait au mieux. Les projets thématiques de la maison et les événements de la saison publique se sont aussi ouverts cette année à plus de projets participatifs pour inclure ces praticiens. Quoi qu’il en soit aujourd’hui, cette crise s’ajoute à une problématique de vieillissement des effectifs et de manque cruel de chefs. Je suis convaincu que nous aurons à aller encore plus loin demain, pour conforter et accompagner leur renouvellement. Ces chœurs, ces ensembles de proximité constituent pour bien des praticiens du quotidien un lien social précieux et un lieu de pratique artistique accessible. J’espère d’ailleurs que le Ministère de la Culture y apportera une plus grande attention à l’avenir, c’est essentiel pour la démocratie culturelle.
Quelles sont les deux dernières missions que vous travaillez ?
La troisième mission, c'est la formation et l'insertion professionnelle des chanteurs et chefs de chœurs pilotée par notre site dijonnais et qui mobilise particulièrement l’ensemble associé. Au-delà de l’offre de master-class, nous avons créé une académie internationale de direction de chœur pour permettre à de jeunes chefs une expérience de la direction exceptionnelle. Nous continuerons demain dans cette voie avec le prochain ensemble associé, soucieux de continuer d’inviter un chef de dimension internationale (l’an dernier, Grete Pedersen), de mettre en lumière les traditions chorales européennes et d’esquisser un tutorat personnalisé pour de jeunes chefs en voie de professionnalisation. Parallèlement, nous aurons des initiatives pour amorcer un travail plus approfondi avec les trois Conservatoires à Rayonnement Régional et l’École Supérieure de Musique de Dijon.
Enfin, notre quatrième axe de travail est le développement et la valorisation de la ressource, notamment à travers le Centre de documentation d'art choral à Dijon composé de 50.000 partitions (et une base de données sur internet). Au quotidien, notre responsable documentaliste et son assistante indexent du répertoire sur la base de données sous des critères très précis (par époque, thématique, difficulté, effectif) ce qui nous permet de répondre avec la plus grande pertinence possible aux chefs de chœurs qui veulent bâtir leur programme. C'est une mine d'or que nous valorisons via des cahiers-répertoires, des partothèmes (recueils de partitions autour d'un thème, qui peut être : l'écologie, le Japon, James Bond, les transcriptions, Josquin Desprez, les partitions graphiques, les poissons, ...) aussi en fonction de l'actualité et des thématiques développées par la maison. Notre organisation et notre équipe nous permettent d'être opérationnels sur toutes ces activités et toute l'année. Le terrain de jeu est immense et l’un de nos atouts est de le labourer à l’année. Les Rencontres Musicales de Vézelay sont finalement comme un grand horizon, elles évoluent bien sûr au rythme de la maison.
La Cité de la Voix est multi-sites, comment vos activités s'organisent-elles en différents lieux ?
L’enjeu est de mettre en synergie l’ensemble des sites (Vézelay, Dijon et Besançon) pour faire fonctionner le projet au complet et dans sa cohérence artistique. L’ensemble associé en est une clef de voute essentielle tant il porte l’identité chorale historique de la maison mais aussi parce qu’il est au cœur de l’ensemble de nos missions. Aussi nos temps forts épousent-ils désormais les nombreuses dimensions de nos activités qui permettent de mobiliser les équipes et les compétences croisées. Par exemple les temps forts se sont enrichis de rencontres, stages, master-classes, temps de valorisation de répertoires. Nous travaillons en mode projet pour que chacun trouve sa place dans une ligne de programmation que je détermine. Les Rencontres Musicales n’y échappent pas, bien au contraire : le développement des ateliers, la présence des amateurs et plus largement la place de la programmation Off en témoignent.
Quels sont les moyens et les soutiens de vos actions ?
Nos partenaires publics en premier lieu : naturellement la Région Bourgogne-Franche-Comté, le Ministère de la Culture, les départements de l’Yonne et du Doubs ont accompagné cette « croissance » importante de nos activités et in fine cette Cité de la Voix au rayonnement régional et national. Nous sommes le premier établissement culturel de la Région, collectivité qui a été à son initiative. Lorsque j’ai été choisi pour diriger la Cité de la Voix, j’avais une vision extrêmement claire de son évolution et des moyens nécessaires pour le faire fonctionner. J’ai été entendu bien qu’il reste encore quelques étapes à franchir. Rien n’est jamais acquis mais tous nos partenaires aiment notre maison, partagent avec enthousiasme nos projets, constatent sa plus grande ouverture, et je le crois, souhaitent unanimement qu’elle réussisse.
Qui est le public de votre Festival, les Rencontres Musicales de Vézelay ?
La confiance s’est installée avec le public
Le public de Vézelay est en grande partie un public de mélomanes. Il en a beaucoup entendu (et pas des moindres). Il est friand d'ensembles internationaux reconnus et de découvertes d'artistes et de répertoires. Après trois années, la confiance s’est installée avec le public et je me sens beaucoup plus libre qu’au début pour les embarquer. Il faut du temps pour installer une relation, partager ses goûts et entendre aussi les leurs. J’ai l’impression d’être un peu comme un équilibriste qui doit conjuguer des attentes mais sait aussi qu’il peut se permettre d’être audacieux. On préjuge souvent de la réaction du public, notamment sur la création, parce que nous avons des impératifs économiques, mais on ne s’imagine pas à quel point il est prêt à de multiples expériences.
Comment façonnez-vous vos programmations pour tenir compte de cet aspect ?
Je m’attache à toujours demander aux artistes ce qu'ils veulent dire et transmettre avec leur programme. La clarté de leurs intentions est fondamentale pour qu’elles puissent rejoindre ce que je défends et la manière dont je conçois ma relation avec le public. Dans ce cas, je ne suis pas seulement programmateur mais aussi un médiateur. L’une des forces notables du Festival est qu’il offre l’occasion d’un grand moment de partage, le public y est très proche des musiciens, depuis le début, et c'est aussi pour cela qu'ils viennent. Nous sommes donc dans un constant renouvellement, des publics et des ensembles invités, pour les présenter les uns aux autres. Pour le public, retrouver les artistes d'années en années et voir les ensembles évoluer est très important. J’ai plusieurs exemples mais le plus évocateur est lorsque nous avons présenté pour la première fois à Vézelay Léo Warynski et Les Métaboles en 2019 autour de Mysterious Nativity, c'était une révélation. Maintenant un lien affectif s'est créé entre Léo, son ensemble et le public. Ils seront attentifs à l’évolution du travail de l’ensemble pour les prochaines années.
Les RMV (Rencontres Musicales de Vézelay) se déroulent sur quatre journées, mais très remplies et séquencées avec des rendez-vous réguliers de jour en jour, comment concevez-vous cette cadence quotidienne ?
C'est notre liturgie des Heures à nous. Ce sont des journées denses, qui mêlent de grands concerts et des moments conviviaux. La journée commence à 8h avec le Qi Gong en musique (avec le musicien et praticien Antoine Jomin pour du chant vibratoire), puis le petit déjeuner en musique à 9h (en ouvrant les yeux et les oreilles avec un café et des musiques extraordinaires dans des lieux sublimes et des points de vue sur le paysage naturel et architectural. Vient ensuite un atelier à 10h30 et un autre à 14h30, des apéros-concerts, des mises en oreille, le concert de 16h, celui en terrasse de 18h, celui de la Basilique à 21h et même des "after" à 22h30. Depuis 2019, j’ai même souhaité qu’un grand bal ponctue la journée du samedi soir en lien avec l’un des axes de programmation du festival.
Les journées sont intenses pour notre public qui aime tout faire. Ils sont gourmands et ont de l’appétit. Ces journées sont quatre gâteaux, quatre pièces montées dont nous n'avons pas voulu enlever le moindre étage mais où chacun peut venir picorer. De nombreux événements sont gratuits et les concerts en église très abordables et accessibles (8 € pour les jeunes, et tous les prix de 15 à 43 € maximum). Nous pouvons dire que nous sommes l’un des festivals les plus accessibles de France à niveau équivalent de programmation. Le Festival traverse ainsi, par tous ces rendez-vous et ces contrastes, des lieux, des répertoires et des temps : c'est tout le sens du mot "Rencontres" Musicales de Vézelay.
Les RMV se tiendront cette année du 25 au 28 août 2022, quelle est la thématique de cette édition ?
Le Festival n'a pas de grande thématique transversale : je ne force pas des programmes à rentrer dans un corset, mais des liens se tissent entre les programmes et les artistes. Cette année nous conjuguons inspirations sacrées et invitations aux voyages.
Dans l’ensemble, nous proposons trois notes majeures : la note baroque, le métissage des musiques et le répertoire sacré des XIXe-XXe siècles, tel un chemin de foi musical qui se déploie durant quatre jours. Bien sûr, cette dernière note sacrée entend interroger notre rapport au monde, à la modernité, à la contemplation en invitant à profiter du temps et de ce lieu exceptionnel et inspirant qu'est Vézelay.
Le premier événement du Festival sera l'une des mises en oreille, en quoi consistent ces rendez-vous ?
Ces mises en oreilles d'une heure ponctuées d’extraits musicaux donnent des clefs d'écoute précieuses grâce à deux musicologues qui sont de véritables mascottes du Festival (depuis 15 ans) : Nicolas Dufetel et Guy Gosselin.
Après sa mise en oreille, le premier concert sera "Jéliote, haute-contre de Rameau", jeudi 25 août 2022 à 16h00 dans la Collégiale Saint-Lazare d'Avallon, mettant en avant un programme, un ensemble et un soliste que votre public va découvrir. Est-ce également important qu'il vienne chanter le héros local, Rameau ?
Absolument, il serait beaucoup dire que je voue un culte à Rameau (avec lequel j'ai grandi au Conservatoire à Dijon), mais j'en suis un inconditionnel, et je trouve le travail d’interprétation de Reinoud van Mechelen de grande qualité : en le programmant (comme pour les autres concerts), je me fais plaisir en faisant aussi plaisir à notre public.
Esther, premier oratorio anglais, composé par Haendel d'après Racine sera le rendez-vous du premier soir (le même jour, à 21h00 en la Basilique de Vézelay). Comment l'avez-vous choisi ?
Je pars ainsi souvent des œuvres et des titres pour la programmation. C'est le cas pour Esther. C'est un projet important en coproduction, un défi lancé à l’ensemble Le Stagioni dirigé par Paolo Zanzu. Nous voulions mettre des moyens au service de cette œuvre très peu jouée : particulièrement dans sa version de 1720 avant d'être remaniée en 1732 à Londres mais qui contient déjà beaucoup d'éléments, de couleurs et d'idées musicales de ce que vont être les grands oratorios suivants. Musicalement, la partition appartient aux chefs-d’œuvre de Haendel, avec une pointe d'opéra, un peu de pastorale et de piété des Passions allemandes : c'est une sorte de synthèse. Le tout sera porté chez nous par une distribution extraordinaire : Rachel Redmond, Carlo Vistoli, Zachary Wilder, Nicholas Scott, Lisandro Abadie. C'est une œuvre fondatrice, qui permet en miroir au chef Paolo Zanzu d’accomplir un acte fondateur chez nous avec une production d’envergure en déployant les grandes couleurs de l'orchestre (il viendra enregistrer son disque Venezia par ailleurs à la rentrée). C'est aussi l'occasion d'un travail pédagogique avec la participation du Jeune Chœur de Paris (dirigé par Richard Wilberforce). Cela donnera aussi lieu à un colloque en septembre consacré à Racine en musique, organisé chez nous par Caroline Mounier-Vehier (musicologue, administratrice de l’ensemble).
Le Caravansérail de Bertrand Cuiller chantera le Stabat Mater de Scarlatti vendredi 26 août à 16h00, pouvez-vous nous parler du lieu que vous avez choisi pour ce concert ?
Je fais en sorte que les effectifs et les programmes s'adaptent au mieux aux lieux, en vue du meilleur confort d'écoute pour le public. L'Église Saint-Germain d’Auxerre à Vault-de-Lugny permet d'avoir un espace nécessaire pour accueillir les chanteurs dans un large chœur. Elle nous offre également un grand nombre de places pour le public. Sur le plan architectural, c'est une église fort intéressante et magnifique en raison des peintures murales datées du milieu du XVIe siècle. Le public découvre ainsi un lieu et un patrimoine à l’occasion d’un concert.
Bertrand Cuiller avec son ensemble présentera sa vision du Stabat Mater de Scarlatti avec une distribution superbe (Maïlys de Villoutreys, Aleksandra Lewandowska, Hasnaa Bennani, Grace Durham, Leandro Marziotte, Paul Figuier, Thomas Hobbs, Valerio Contaldo, Benoît Arnould, Nicolas Certenais). Le Stabat Mater de Scarlatti résonne bien entendu avec celui de Poulenc qu'interprète Aedes le lendemain, avec évidemment un tout autre regard sur ce texte poignant marqué par un enchevêtrement vocal exceptionnel. Le programme Scarlatti se complète en outre dans ce concert avec la Missa brevis quatuor vocum, la Sonate pour clavier K30 et le Te Deum à double chœur, offrant au public un moment Scarlatti dans le festival.
A Mercy of Peace sera le grand concert du second soir (vendredi 26 à 21h dans la Basilique), comment le choix a-t-il été fait de réunir Bruckner et Tchaïkovski ?
C’est un programme très méditatif et très spirituel qui sera sublimé par cette formation exceptionnelle conduite par Sigvards Klava. J’étais initialement parti sur les motets de Bruckner, dont le dernier enregistrement m’a émerveillé et qui m’a convaincu de réinviter le Chœur de la Radio Lettone. Il m’a proposé d’y associer la liturgie de Saint-Jean Chrysostome de Tchaïkovski. L’apparente simplicité de cette musique suffit à nous transpercer et ce n’est pas très souvent programmé. Il fait partie des meilleurs sur ce répertoire, l’idéal du son, la musique magnifiée dans la profondeur d’une prière, la riche douceur conjuguée à la clarté : j’ai hâte de les retrouver.
Le vendredi soir se finira "À la lanterne" à partir de 22h30, en quoi consistera cette escapade musicale ?
Le festival permet de mettre en lumière les jeunes ensembles que nous accueillons en résidence. Encore une fois, dans l’esprit de compagnonnages durables. C'est le cas des Itinérantes avec Manon Cousin, Pauline Langlois de Swarte et Élodie Pont. J’aime leur univers d’exploratrices, elles naviguent beaucoup (elles étaient encore récemment au Bénin). Ce sont trois sensibilités et trois paires d’oreilles ouvertes sur le monde qui s’inspirent des traditions musicales pour créer leur propre langage. Elles le font avec brio, à travers des arrangements de qualité mais aussi des scénographies qui ajoutent une grande poésie dans leurs concerts. Le public pourra les découvrir dans un jardin en pleine nuit…
Transylvania (titre du concert de samedi 27 août à 16h) est-il au carrefour des influences musicales du Festival ?
Transylvania s'inscrit effectivement dans nos trois thématiques (sacré, baroque et musiques de l'Est) : ce projet est une aventure pour l’Ensemble Zene et son chef Bruno Kele-Baujard. Et cela sur tous les plans. Du travail musical de réécriture à la construction d’un clavicymbalum jusqu’à la commande passée au compositeur Philippe Hersant. Ce projet est aussi un grand voyage musical et très personnel pour Bruno Kele-Baujard qui, j’en suis certain, lui permettra de dire qui il est artistiquement. Je suis et accompagne son ensemble et je tenais à ce que cela se fasse chez nous. Bruno Kele-Baujard me parlait depuis plusieurs années du Codex Caioni (relevé des musiques d'Europe de l’Est par le vicaire général Kájoni János au XVIIe siècle). Ces pièces folkloriques témoignent de toute la porosité avec les musiques tsiganes très métissées et l'auditoire la retrouvera dans l'instrumentation choisie, la richesse et les couleurs des timbres et des influences : c’est l’expression de l’idée du métissage et du multi-culturalisme (en montrant que les musiques se croisent et qu'il est toujours possible de réinventer d'après la tradition, à condition d'en connaître les codes). C'est pour lui un projet très personnel car la plupart de ces chants lui ont été transmis par sa famille, et pouvoir donc les offrir au public marquera un grand moment d’émotion.
Le dernier concert de 21h à la Basilique, le samedi, mènera au Stabat Mater de Poulenc avec votre Ensemble associé, Aedes dirigé par Mathieu Romano, qui tourne donc une page ?
Le programme de l'Ensemble associé est toujours le "point de départ" de la programmation, et un élément fondateur de chaque édition. C'est je crois un beau cadeau que nous nous faisons réciproquement à l’issue de la résidence de trois années de l’ensemble Aedes à la Cité de la Voix. Dans ce projet, Mathieu a pensé un chemin de foi, de Janequin jusqu'au Stabat, et Ives, Messiaen (avec des compositeurs qui ont eu un rapport singulier à Dieu et au divin). L'idée est de recréer une liturgie artistique et d'ouvrir la voie (et la voix). Ce chemin mène vers le Stabat Mater, qui est aussi un aboutissement de son parcours à Vézelay où à travers sa sensibilité musicale, il a toujours cherché à traduire la dimension humaine des titres qu’il aborde. Cette humanité est l’une des clefs des choix de Mathieu et sans doute de sa personnalité. C’est l’une des clefs de lecture de la profondeur de son travail et de la proximité qu’il sait établir avec le public. Ce fut par exemple le cas avec Un Requiem allemand de Brahms, comme c’est le cas avec son intention chez Poulenc où il souhaite sortir du pathos et de la toute-douleur pour sculpter la figure de la mère dans toutes les facettes de l'espérance.
Samedi soir, après le Stabat Mater vous invitez à un Grand Bal Tsigane avec Marcela Cisarova et le groupe Michto Drom, qui sont-ils ?
Ce sera un grand moment. Marcela Cisarova est une chanteuse d'origine Kalderash qui a fondé son groupe pour partager la musique et la culture tsigane dans toutes ses dimensions et ses langues, avec des chants d'exil et de déracinement mais conjugués à la joie, à la fête et au bonheur d'être ensemble. J'étais tombé par hasard sur eux dans un festival et je me suis tout de suite dit que si l’occasion se présentait, je les inviterais volontiers. Le bal est un moment festif et fédérateur qui fait écho à une note majeure du festival. L'année dernière c'était un bal de musique anglaise, cette année ce sera donc la musique tsigane. Des ateliers sont prévus pour les personnes qui souhaitent s’y préparer.
Parmi les Ateliers et activités participatives, vous proposez également une nouveauté : la Cantate participative, le dimanche à 11h. Dans quelle dynamique s'inscrit-elle ?
Je veux un public acteur et actif, et comme je l’ai dit, je défends la pratique comme l’un des meilleurs moyens de transmission. Avec les ateliers qui permettent une découverte des répertoires du monde, cette cantate participative permettra aux personnes qui veulent chanter le choral final de la cantate BWV 32, de participer. Dans la même logique, le stage avec les formidables musiciens de Voice Messengers donnera l’opportunité à une vingtaine de participants de travailler avec eux et de participer au concert final.
En effet, la Petite Messe Solennelle de Rossini refermera le Festival (dimanche 28 août à 16h00 dans la Basilique), comment avez-vous choisi cette fin ?
Cette Petite Messe Solennelle pour clore cette 22ème édition s'est imposée naturellement. C'est une œuvre qu'on me demande beaucoup, depuis mon arrivée (car elle est très appréciée du public). J’ai donc sauté sur l’occasion quand Giulio Prandi a sorti ce disque impressionnant où il revient à l’édition critique de l’œuvre. Il fait partie des musiciens qui me fascinent parce qu'ils mettent leur culture et leurs recherches directement au service et au profit de leur pratique musicale. Il a cherché une version très pure et le concert sera présenté tel qu'il a été enregistré, avec deux pianos anciens (un Erard de 1854 à cordes parallèles et un Pleyel de 1856, plus l'harmonium) grâce à la collection de Jean-François Tobias. Le chœur amateur Anima de Guillaume Labois participera également à ce concert, à cette rencontre dans l'expression du sacré et l'intensité du recueillement, résonnant avec l'attente du public.
Quels autres évènements souhaiteriez-vous mettre en avant ?
Avant et après ce Festival, La Cité de la Voix continue d'enchanter la Bourgogne et la Franche-Comté tout l'été et toute la saison, du point du jour jusqu'à la nuit tombante : "Let the sunshine in…" propose ainsi un réveil à 5h45 le 25 juin avec un répertoire de comédies musicales qui sera chanté le soir par Aedes. Le mois de juillet sera animé par un Atelier de doublage, un Ciné-spectacle, des concerts de l'Ensemble Diaphane, d'A Bocca Chiusa, de la Compagnie "Répète un peu pour voir", avant de partir "À travers champs" pour un stage vocal amateur ouvrant la programmation du mois d'août (immédiatement suivi des répertoires franco-espagnols du XVIIe siècle avec Ibera Auri). La rentrée sera notamment marquée par le Colloque "Racine en musique" et la master-class "Interpréter Haendel" avec Emmanuelle de Negri, Nicholas Scott et Paolo Zanzu du mercredi 28 septembre au samedi 1er octobre, faisant le lien entre le Festival d'été et une nouvelle saison de riches activités.