L’amour fleurit, l’amour se fane, avec Reynaldo Hahn et Véronique Gens au Musée d’Orsay
Amour et nature se côtoient dans toutes les mélodies proposées ce soir : les étoiles et le ciel avec Théodore de Banville (Les étoiles), l’eau claire et les oiseaux avec Armand Renaud (Les cygnes) ou encore les roses avec Armand Sylvestre (J’ai caché la rose en pleurs) et, en bis, Leconte de Lisle (avec Fauré) pour Les roses d’Ispahan, enfin l’automne et la mort de l’amour avec la Dernière valse de Maurice Donnay – un programme aux touches de romantisme, à la fois tendre et mélancolique. Il rassemble, en quatre cycles choisis selon le goût des interprètes, nombre des poèmes mis en musique par Reynaldo Hahn. La salle est pleine et le public, déjà enthousiaste.
Susan Manoff et Véronique Gens entrent alors sur scène, la première vêtue d’une redingote noire et la seconde captant immédiatement le regard dans sa robe écarlate (qu’elle changera pour une autre longue robe blanche après l’entracte). Au piano, Susan Manoff propose un jeu énergique et vibrant, particulièrement appliquée dans les moments qui lui sont réservés, pour instrument seul, notamment une très belle « Hivernale » du Rossignol éperdu, fil rouge pianistique des quatre moments du concert. Elle produit un bel accompagnement à la chanteuse, témoignant ainsi de leur entente.
Véronique Gens, pour sa part, pénètre les mélodies de Hahn d’une voix sensuelle aux moments les plus inattendus. Le timbre est riche, paré de nombreuses couleurs qui lui prodiguent une teinte unique, chaude et engageante, quoiqu’encore printanière. La diction est parfaite et chaque mot, chaque vers est saisi d’emblée. Si l'auditoire relève quelque sécheresse, de temps à autre, en fin de phrase, cela n’hôte rien à la générosité et la profusion de la voix, dont l’ample projection résonne dans la petite salle. Avec élégance, elle reprend ces mélodies d’amour, et sa grande retenue n’empêche pas la floraison de l’émotion, en particulier à la fin de la deuxième partie, avant l’entracte, et lors de la conclusion, la dernière partie du concert – Aimons-nous (Théodore de Banville) est adoré du public, qui manque d’applaudir au milieu du cycle (comme cela arrivera plusieurs fois), ou encore une Dernière valse touchante aux larmes et À Chloris surprenant, non par sa douceur et sa sensibilité, mais par la profonde mélancolie qu’y ajoute la chanteuse.
Enfin, en bis, les deux interprètes proposent trois mélodies, à commencer par Les roses d’Ispahan de Fauré, précis mais langoureux, puis la Chanson triste de Duparc, qui surgit avec aisance et grâce. Et comme le public en réclame, Véronique Gens s’avance une dernière fois et, avec un sourire amusé, commente : « Puisque vous aimez les raretés… - Ha oui ! » s’exclame quelqu’un dans le public. Et pour ne pas nous laisser partir sur une Chanson triste, elle entame « Ceux qui, parmi les morts d’amour… » des Quatre poèmes de Ropartz.
Le public éclate encore une fois en une myriade d’applaudissements et Véronique Gens murmure un simple et malicieux « Merci. », puis sourit et, avec Susan Manoff après un dernier salut, disparait dans les coulisses. Les spectateurs reprennent alors le chemin de la nuit, encore à peine tombée et s’en retournent dans les rues de Paris en songeant à ces mélodies tristes et fleuries.