La Passion selon Marie au Cirque d’Hiver Bouglione
Le Cirque d’Hiver Bouglione ouvre ses portes à La Passion selon Marie, oratorio apocryphe (évangile non retenu dans la Bible) aux sonorités cinématographiques, racontant l’histoire de la nativité de Marie jusqu’à l’accomplissement de son rôle de prophétesse à l’égard du peuple d’Israël.
La piste du Cirque d’Hiver, lieu assurément insolite (mais autant qu'une étable pour la Nativité), habite l’espace par quelques éléments scéniques (une coupe dorée et un chandelier d’assez grandes dimensions, ainsi qu’un livre), et accueille l’orchestre. Sur le fond, suspendue depuis le chapiteau, une énorme toile de Maria Kreyn, figurant la sortie de Marie du tombeau après sa propre Passion, couronne la scène. La piste, entourée de sa banquette en velours rouge, oblige les solistes à entrer par le fond, derrière l’orchestre. Aucune césure musicale n’est prévue par la partition pour ces entrées qui se font par des déplacements fluides, accompagnés de changements de lumières, rouges et bleues, qui illuminent la scène et les chœurs lors des transitions. Bien que représentées par des déplacements simples, distants et jamais brusques, les interactions entre les personnages, mises en espace par Valérie Letellier, sont caractérisées par une écoute engagée et un regard bienveillant. À plusieurs reprises, certains personnages tels que les Archanges, Marie, ou encore Pierre, regardent la scène en silence en son sein, tout en accentuant le côté cryptique de l’œuvre. Les personnages portent des costumes d’inspiration israélite aux couleurs très nettes, presque symboliques (rouge et blanc pour Anne et Marie, noir pour Zacharie, blanc pour Pierre, gris pour les Archanges).
L’entrée du chef d’orchestre Antoine Marguier est accueillie chaleureusement par un public malgré tout éprouvé par les 45 minutes de retard accumulé avant le début de la représentation (causé par à la longue file d'attente du public). L’orchestre, qui a pris place sur la piste, répond au geste d’attaque du chef qui ouvre le premier tableau de l’oratorio sur un début lumineux au thème simple et captivant. La direction musicale précise et délicate d’Antoine Marguier évite les grands gestes et opte pour des entrées claires, autant pour les chœurs et pour l’orchestre que, à certains moments, pour les solistes.
Les chœurs, réunissant le Chœur Lyrica-Opéra (Suisse) et les Chœurs de Paris Lacryma Voce (uniquement à Paris), préparés par Pascal Mayer et Matthieu Stefanelli, sont placés en arc de cercle et surélevés sur les gradins. Bien affirmés dès le début de l’oratorio dans leurs différents rôles (d’abord en tant que peuple d’Israël, puis en tant qu’hommes du Temple, jusqu’à ne faire qu’un avec l’orchestre, en soutien des solistes), ils forment avec les 46 musiciens de l’orchestre, un ensemble cohérent, jamais dans l’excès sonore. Les transitions entre chaque tableau, ponctuées par un noir et par les applaudissements du public, exigent par moments des sorties et des entrées des chœurs. Des déplacements internes entre la scène et les chœurs se font aisément (l’Archange Michel rejoint le chœur des femmes au dernier tableau, le prêtre du Temple descend sur scène depuis le chœur des hommes au troisième tableau).
Protagoniste du premier tableau, Juliette Galstian, mezzo-soprano dans le rôle d'Anne, affirme sa présence dès la première note par une voix assurée et équilibrée, dans les graves comme dans les aigus. Le son est riche et porté sur toutes les longueurs de phrases, qui sont également bien articulées. L’écriture permet parfois un résultat de fusion entre ses graves et le chœur des femmes dans les aigus, et offre un terrain de jeu sur toute l’extension de son mezzo-soprano, auquel elle répond aisément, tantôt en dialogue avec les chœurs, tantôt en duo ou en trio avec les autres solistes.
Clara Meloni, soprano, qui interprète Marie et entre en scène à partir du deuxième tableau sur un rythme syncopé, semble être rassurée par les regards des attaques du chef d’orchestre. Trouvant bientôt son équilibre, elle livre au public une voix claire et agile, au timbre chaud et délicat. La projection de sa ligne dans toute son extension est assurée, ainsi que les phrasés, bien qu’elle perde un peu de son articulation dans les aigus. Dans son duo avec Juliette Galstian (Ne crains rien), les deux voix sont plus qu’homogènes : les aigus agiles de la soprano se fondent dans les graves bien soutenus de la mezzo-soprano, tout en gardant dans le jeu cette tendre distance entre Anne, la mère, et Marie, la fille.
Présent dans trois tableaux sur quatre, Sacha Michon interprète Zacharie puis Pierre. Ses entrées apparaissent un peu fragiles dans le bas de son baryton-basse. Dans l’ensemble, les aigus assez bien projetés sont opposés à un médium et des graves plutôt légers, souvent couverts par l’orchestre. La précision rythmique parfois hésitante qui donne l’impression d’instabilité est compensée par une bonne articulation qui permet de suivre l’histoire.
Hoël Troadec, ténor, fait une entrée discrète d’abord aux côtés de Juliette Galstian, puis de Sacha Michon. Tantôt accompagné par l’orchestre, tantôt en duo avec la mezzo-soprano, et en trio avec le baryton-basse (Ô peuple d’Israël ton sang se répand), le ténor peine à se faire entendre dans les graves, en dépit de toute articulation. La projection faible de sa voix, qui apparaît parfois essoufflée, n’enlève pourtant rien à sa présence qui se fond harmonieusement avec la scène en Archange Raphaël.
Zoé Vauconsant-Massicotte, contralto à la voix cuivrée bien qu’elle ait besoin de quelque temps pour installer sa voix dans les graves, déploie son timbre chaud à travers une ligne à l’extension large. Malgré un manque d’agilité dans les montées, le son est riche et ses phrasés musicaux soutiennent l'envol de son personnage d'Archange Michel.
Enfin, le baryton Rémi Ortega, qui chante jusqu’à ce moment dans le chœur, fait une courte mais intense intervention sur scène au troisième tableau, dans le rôle du prêtre qui interdira l’entrée de Marie au Temple. Il affirme sa présence par une voix ferme et pleine, infaillible dans ses projections et renforcée dans les graves, avant de regagner sa place au milieu du chœur. Vrai appui de jeu pour Clara Meloni dans ce troisième tableau, celle-ci peut déployer en réponse dans son chant tout le drame et la rage que son personnage porte en elle.
Le public salue avec enthousiasme les artistes, ainsi que le compositeur Louis Crelier et la librettiste Valérie Letellier, qui, avec beaucoup d’émotion, rejoignent la scène aux côtés de leurs interprètes-créateurs.