L’Élixir d’Amour à Vichy, cure de jouvence en bord de mer
L’an passé, une initiative du même genre, des Noces de Figaro à la sauce théâtro-lyrique avait rencontré un franc succès tant auprès du public présent dans l'Opéra de Vichy que des enfants ayant participé à cette production inédite (notre compte-rendu). Alors, cette année, sous la houlette toujours audacieuse de Martin Kubich, la maison lyrique thermale réemploie la formule en proposant cette fois une version inédite de L'Élixir d'amour de Donizetti, dans un format développé par la créative et très pédagogique compagnie Op’Là.
Version inédite car raccourcie (seuls les grands airs demeurent), rematérialisée façon boulevard (les récitatifs initiaux sont remplacés par des dialogues parlés en français), et faisant appel à un groupe de jeunes enfants inscrits dans des centres sociaux de l’agglomération vichyssoise. Une façon pour eux de découvrir le monde de l'opéra, à travers plusieurs demi-journées de travail aux côtés de chanteurs confirmés et d’une équipe artistique et scénographique en l’occurrence bien inspirée.
La mise en scène de Claire Manjarrès, simple et efficace, plonge ainsi l’action de cet Élixir au cœur des années 1930, dans une station balnéaire de quelque espace maritime atlantique ou méditerranéen, voire même... auvergnat. Car Vichy n’est pas une grande ville d’eau pour rien, tout juste inscrite d’ailleurs au patrimoine mondial de l’Unesco (la beauté de son opéra Art nouveau, situé au centre du quartier thermal, ayant sûrement pesé dans l’affaire). C’est une ville qui dispose d’un somptueux lac, et même d’un port, et c’est donc là, en plein air, que vient s’installer un sobre décor fait de quelques transats, d’une cabine de plage et d’une chaise haute de surveillance de baignade. Les vaguelettes (car le vent est de la partie en ce soir de spectacle) de la rivière environnante font le reste, et voilà l’audience effectivement plongée dans une ambiance maritime d’où déboulent des personnages aux tenues fidèles à l’époque d’entre-deux-guerres, robes à fleurs et pantalons de tailleur pour ces dames, chemises unies et gilets coupes cintrées pour ces messieurs. De beaux costumes signés Marion Benagès qui se trouvent être idéalement choisis pour une telle mise en scène où les artistes dépassent largement les limites de l’estrade dressée à fleur d’eau pour donner encore plus de relief et de dynamisme à l’action. Dans un beau costume de sergent, Belcore arrive ainsi en pédalo depuis la rivière, ce même Belcore, sur le point d’épouser Adina, traversant les rangées du public comme il fendrait la nef d’une église. Il convient donc pour le spectateur de tourner la tête, de regarder partout, en prenant le temps de respirer l’air pur venu caresser la surface de l’eau, là, tout près de lui : pas de doute, il se trouve donc bel et bien sur une plage, dans un temps lointain, et ne reste alors à l’action qu’à prendre forme, et aux chanteurs à enchanter les oreilles de cette assistance ainsi transportée.
La soprano Anara Khassenova enchante ainsi son Adina, portée par une artiste pleine de fraîcheur et d’enjouement, à la voix joliment colorée, aux aigus vibrés et sonores (ce qui se constaterait également, certainement, si les chanteurs n’étaient pas dotés de micros comme en cette soirée de représentation en extérieur). Le fameux “Della crudele isotta” est délicieusement interprété, avec un réel charme vocal. En Gianetta, Anaïs Merlin se distingue avec autant de bonheur et de spontanéité dans l’expression scénique que dans le chant, par son soprano assis sur un solide medium, et nanti d’un vibrato généreux dans le registre supérieur de la tessiture.
Le rôle de Nemorino est endossé par le sémillant Hoël Troadec (initialement annoncé, Julien Dran, récemment endeuillé par le décès de son père, renonce finalement à chanter mais est présent dans le public pour applaudir ses camarades). Vif gestuellement, ce Nemorino sait aussi se montrer touchant et attendrissant, chacune de ces émotions étant restituée par la palette vocale variée du jeune ténor, dont la tessiture est ample et la projection solide, le timbre se faisant d’autant plus soyeux en approchant des notes les plus graves. L’inévitable grand air du rôle, “Una furtiva lagrima”, est chanté avec toute la délicatesse requise, et avec de belles demi-teintes ne le rendant que plus expressif.
Régis Mengus est un Belcore imposant et remuant, son baryton chaud et flexible en émission faisant mouche dans le rôle, l’artiste et sa riche vis comica usant aussi avec maîtrise et gourmandise du recitar cantando lorsqu’il convient moins de chanter que de jouer au séducteur un peu bouffon (le public rigole ainsi de voir ce soldat se doucher en slip avec des mimiques que le de Funès du Corniaud n’aurait pas reniées). Enfin, le baryton Florian Bisbrouck déborde d'énergie en Docteur Dulcamara, occupant la scène tant par ses mouvements incessants (élixir en mains, bien sûr) que par une voix au timbre clair et aisément projetée, notamment dans un épais medium. Ce Dulcamara aime danser, aussi, ce qu’il fait notamment avec les autres solistes et vedettes de la soirée, ces jeunes vichyssois qui se voient ici confier la (courte) mission de figurants et de chœurs. Un rôle que ces enfants endossent avec force entrain et envie de bien faire, la générosité de leurs interventions vocales traduisant leur bonheur d’être là et de prendre part à un spectacle en tous points enthousiasmant. Une réussite qui doit aussi beaucoup, pour ne pas dire l’essentiel, à la prestation bluffante de Michel Glasko à l’accordéon, musicien hors-pair et accompagnateur faisant oublier qu’aucun orchestre n’est venu prendre place là, sur ce rafraîchissant bord de mer, pour voir l’amour de Nemorino finir par triompher. Un triomphe salué par les cris joyeux des enfants, bien évidemment. Et par les applaudissements nourris d’un public ravi, aussi.