Bach éternel et en Combrailles : Trinitatis en concert d’ouverture par Le Banquet Céleste
Si Jean-Sébastien Bach n’a jamais eu l’occasion, malgré ses nombreux voyages, de découvrir les paysages des Combrailles dans le Puy-de-Dôme, c’est pourtant là que, chaque été depuis 1998, son œuvre fait vivre ce territoire tranquille de l’Auvergne. Grâce à la volonté et à l’énergie de passionnés, ce rendez-vous fait (re)découvrir les charmes et les merveilles riches et subtiles de la musique de Bach et du patrimoine régional. Le temps d’une semaine, ce Festival aux allures familiales, organisé en grande majorité par des bénévoles, propose une programmation de grande qualité, notamment sous l’impulsion de son Directeur artistique Vincent Morel, et invite les artistes parmi les plus talentueux et experts de l’œuvre baroque, particulièrement de celle de Bach.
En l’église de Pontaumur, le public est ainsi heureux de débuter cette semaine de concerts avec l’un des ensembles français les plus connaisseurs des cantates de Bach, Le Banquet Céleste de Damien Guillon. Ce soir, trois cantates composées pour des dimanches après la Trinité (huitième dimanche après Pâques dans le calendrier luthérien, comme catholique) invitent à réfléchir et s'émouvoir, de la vanité à l’humilité, de la crainte et de l’affliction à l’espérance. « Bien que nous ne soyons ni en Allemagne, ni au XVIIIe siècle, ni peut-être luthériens, la musique de Bach est une musique qui peut toujours nous parler aujourd’hui » affirme en introduction Vincent Morel.
La soprano Céline Scheen est la première à faire porter la profonde exégèse de Bach aux oreilles de l’auditeur avec son air de la Cantate Wer sich selbst erhöhet, der soll erniedriget werden (Quiconque s’élève sera abaissé). Ses phrasés souples et expressifs sans excès sont magnifiés par une prononciation particulièrement soignée ainsi que par un timbre aux graves chaleureux et de lumineux aigus. Sa présence, qu’elle soit sur le devant de la scène ou en retrait pendant que d’autres musiciens s’expriment, est toujours particulièrement touchante, laissant naturellement, voire involontairement, rayonner sa sensibilité musicale et son authenticité. Sa reconnaissance enthousiaste envers ses collègues est communicative. Elle est ainsi sans surprise une complice accomplie lors du beau et agile duo « Wir eilen mit schwachen, doch emsigen Schritten » (De nos pas faibles mais empressés nous accourons vers toi) pour la Cantate Jesu, der du meine Seele (Jésus, toi qui par ta mort amère) avec Damien Guillon. Celui-ci n’a pas de pages en soliste, mais laisse tout de même apprécier son timbre clair et la finesse de ses phrasés. Entre autres, lors du choral introductif « O Ewigkeit, du Donnerwort, O Schwert, das durch die Seele bohrt » (Ô éternité, toi parole de tonnerre, Ô épée, qui passe à travers l’âme) de la Cantate éponyme, sa voix est à l’image de son texte : une fine lame qui touche le cœur sans aucune douleur (bien au contraire elle l’illumine et le réchauffe).
Le ténor Thomas Hobbs lui répond d’une voix claire, projetée et présente, avec une bonne conscience du phrasé et du texte, qui s’apprécie notamment dans les récitatifs, fondamentaux pour la compréhension de ces cantates. Le baryton-basse Benoît Arnould est tout aussi convaincu dans les récitatifs, regardant son public pour mieux transmettre son texte bien prononcé. Par ses graves chaleureux et ses longs souffles, il incarne un Saint-Esprit calme, apaisant et constant, tout comme il exprime pleinement le côté sombre et terrible du martyr et du sacrifice dans son récitatif puis son air. Dans les chœurs introductifs et les chorals finaux, le quatuor de solistes se montre équilibré et homogène, soutenu par les onze instrumentistes.
Sous la direction parfois caressante, d’autres fois un peu plus sèche, mais toujours sûre et précise de Damien Guillon, l’ensemble Le Banquet Céleste excelle tout au long de la soirée, assurant des tempi toujours justes, souvent actifs sans souffrir de précipitation. L’équilibre et le relief donnent du sens aux discours musicaux, particulièrement aux cordes. Le continuo prend parfois et volontairement un aspect empressé expressif tout en gardant un tempo régulier, illustrant l’apparente facilité et la maîtrise musicale des instrumentistes.
En soutien au continuo de l’ensemble, la jeune claviériste Maude Gratton tient l’impressionnant orgue de l’église de Pontaumur, réplique de l’orgue d’Arnstadt qui fut l’instrument du premier poste titulaire du jeune Bach. Elle présente en introduction et en « respiration » instrumentale deux œuvres de Bach pour orgue qui, malheureusement, semblent manquer d’assurance et surtout de sérénité avec des phrasés morcelés par des cellules rythmiques précipitées, un toucher en lutte avec un clavier peut-être difficile, ne permettant pas de mettre en valeur les voix de l’écriture contrapuntique foisonnante de ces partitions. Et pourtant, la musicienne se montre très bonne accompagnatrice, bien que faisant dos à l’ensemble depuis le haut de la tribune. L’auditeur admire également sa capacité à transposer puisque l’orgue est accordé selon le diapason dit « Chorton » (ton de chœur avec un la vibrant à 465 Hertz), c’est-à-dire d’un ton plus aigu que les instruments baroques (415 Hz). C’est en toute fin de soirée, en résonance avec la Cantate Jesu, der du meine Seele, que Maude Gratton fait entendre sa maîtrise du clavier en offrant une belle Passacaille et fugue en do mineur, œuvre de bravoure et d’endurance dans laquelle la musicienne montre un phrasé beaucoup plus sûr, un toucher agile et une grande clarté dans le jeu de pédalier.
Conquis par cette première soirée, le public en redemande et reçoit en bis le choral final de la Cantate Herr, ich glaube, hilf mir Schwachen (Seigneur, je crois, aide-moi dans ma faiblesse), dont le dernier mot ne saurait être que la réponse ultime et rassurante à ces réflexions musicales autour du péché de vanité et de la crainte de la mort : Ewigkeit, « éternité ».